C’était il y a un mois.
Nous apprenions, bouleversés, que la bêtise crasse, l’inculture et la barbarie avaient encore frappé. Et cette fois, la victime avait une histoire, une profession, un visage, un nom : Samuel Paty.
En ces temps covidiens si incertains, voire incongrus, alors que depuis des mois des voix s’élèvent en tous sens et se télescopent à foison, il semblerait que la tentation ait été trop forte : il fallût à force de surenchères patriotiques instrumentaliser l’émotion sincère et légitime du citoyen lambda. Il fallût absolument réveiller une unité nationale perdue de vue, raviver les couleurs du drapeau, scander les valeurs de notre belle laïcité, transformant quasiment ce drame en aubaine politicarde.
Dans un énième cafouillage, qui était loin, lui aussi, de rendre honneur à la victime, les enfants sont donc retournés à l’école après les vacances de la Toussaint, masqués pour la 1ère fois de leur vie, et sommés eux aussi d’honorer, à 11h pétantes, la république, sa liberté, son égalité, et sa fraternité. Autant de mots qui ont plus que jamais perdu leur sens ….
J’étais ce matin-là en télétravail, et je vis en face d’une école.
Une marseillaise et un brouhaha m’ont donc sortie de ma bulle, et j’ai ressenti le désir de m’associer à l’hommage. Et dans « hommage », pardonnez moi si j’entends avant tout « homme » : adieu, monsieur le Professeur …
Je ne sais trop pourquoi, j’ai pris mon appareil photo ….
Que faisons-nous à nos enfants ? ….
Peur de l’autre, de toucher les choses, les gens, peur de respirer librement, confinés, déconfinés, reconfinés …
Et aujourd’hui, bien alignés dans cette cour, il leur faut se mettre au garde à vous, écouter le discours.
A quoi pensent-ils en cet instant ? Que comprennent-ils du monde dans lequel on les précipite ?
Heureusement, l’enfance reprend ses droits.
Je sais maintenant pourquoi j’ai pris mon appareil photo : pour me rassurer !
Car très vite les rangs s’égayent par le fond (comme d’habitude), un blouson vole, une queue de cheval virevolte, et la vie reprend le dessus … Et c’est peut-être ce qui vous aurait fait le plus plaisir, Professeur.
(Petite précision : les images sont volontairement floues. Pour tout dire, elles ont même été floutées, car je ne suis pas sûre qu’il soit possible de publier des photos d’enfants sans l’autorisation écrite de leurs parents sur CERFA en triple exemplaire)
Et pour finir sur un sourire :
Ma fille (« Patatartiner » pour les connaisseurs) explique à Emma, 4 ans et demi, que le lendemain une sorte de cérémonie aura lieu à l’école. Car bien évidemment, on laisse d’habitude les petits enfants protégés de ces horreurs …. Mais là, il faut bien anticiper, dire sans dire, bref improviser.
« … alors demain, à 11 heures, tout le monde pensera très fort à ce monsieur ».
Emma fronce les sourcils (Emma sait très bien froncer les sourcils), elle réfléchit.
« Oui, mais … je le connais pas, moi ! Et si je me trompe ?«
Bouleversant tout ça… J’ai appris avant hier que non seulement le suicide reprenait du poil de la bête chez les adultes, mais aussi chez les enfants de 7 à 10 ans, chose inhabituelle avant…
« Restons joueurs, dissipés, optimistes. Sortons du rang ! »
Absolument et tant que nous le pouvons.
Et il me semble que c’est cet exemple qui leur permettra de grandir sans s’éteindre avant l’heure.
La bonne nouvelle : avec les masques, plus besoin de flouter, tu n’as rien à craindre.
Normal que les enfants aient du mal à comprendre, nous-mêmes, adultes, restons confondus devant la stupidité d’un tel acte : tuer quelqu’un de la plus horrible des façons juste parce qu’il a parlé de dessins (il n’en est même pas l’auteur). Ces hallucinés religieux sont vraiment de foutus connards.
Bises à Patatruc and Co ♥
J’avais lu avec interet ton texte. aujourd’hui j’y reviens avec la même émotion. merci aussi pour les images qui font office de temoignage d’une époque.
Édifiant ! Ce qui me fait peur aussi, c’est la capacité d’adaptation des petits… Ils s’habituent à vivre dans un monde qui restreint les libertés. Ce conditionnement s’additionne à tous ceux auxquels ils sont les victimes « inconscientes » … Infos, écrans, discours flous des adultes. Lorsque j’enseignais, mon principal soucis était de développer le sens critique (de façon positive). Aujourd’hui c’est de plus en plus rare.
Toujours trop tôt pour se mettre au garde-à-vous ! Toujours trop tôt aussi pour vivre dans un environnement pareil. Faut-il leur en parler ou se taire ? On ne peut pas généraliser mais ce qui est sûr pour moi c’est qu’il faut être à leur écoute. On peut trainer des peurs ou des angoisses d’enfant pendant de très longues années.
J’en dis pas plus, je suis resté très longtemps à tenter d’écrire ce commentaire.
Allez ! C’est la récré
Leur faire confiance……
Je pense que cet événement et ce qui l’a suivi fait déjà partie de « leur » monde, celui qui se développe malgré nous (personnellement, je ne me sens pas responsable de l’existence de l’islamisme radical ni du terrorisme), et que les enfants se construisent avec.
Je note aussi que 2 garçons s’empoignent : soit ils se battent, soit il dansent…
A mon avis ils font du judo
Comment leur dire vrai tout en préservant leur « droit » à l’innocence enfantine ?
Un reportage local émouvant… et rassurant somme toute.
Pas simple en effet, je suis bien d’accord. En revenir à un principe très simple: s’ils expriment d’une manière ou d’une autre qu’ils sont touchés, de près ou de loin, par une question, il faut leur répondre. Pas éluder.
Toute la difficulté est que, justement, ils encaissent mais n’expriment pas forcément …
Comment respecter à la fois le « droit à l’innocence » et ne pas le confondre avec le refoulé ?
« Trop » mignonne Emma ! ? Sa fraîcheur mérite le mot de la fin de cette chronique.
Ben non, « mignonne » n’est pas le terme que j’emploierais en ce qui concerne Emma. Je trouve qu’elle montre déjà une certaine responsabilité bien trop lourde pour ses épaules de 4 ans passés… La réflexion, la relative neutralité face à l’inconnu et la peur de se tromper, et par là le refus larvé de se conformer à ce qu’on lui dit de faire.
Mais après tout, je n’y connais rien en « enfants du XXI ème », alors je dis ça, j’dis rien.
A presque 5 ans, c’est normal aussi de réfléchir, les enfants n’ont pas attendu pour le faire, je me rappelle mes frères, ou même des choses que je pensais très très jeune. Je le vois aussi chez Arthur, depuis quelques mois, ( les jumeaux ont eu 4 ans ce 1er décembre ). Un mélange de sérieux, parfois d’inquiétude, de candeur et heureusement de joie.