Vraiment Simone

 

Nos mères avaient lié conversation sur le sujet du vent, du sable qui colle à la crème solaire, des serviettes de bain qu’il faut mettre à l’abri, du paréo léger si difficile à ajuster. Mon père faisait la planche à quelques mètres du bord, là où il avait encore pied ; le père de Simone était aussi dans la Méditerranée mais invisible à l’œil nu.

Simone s’avançait vers nous, avec à la main une glace qu’elle venait d’acheter à la buvette. Elle marchait en plantant d’abord la pointe de ses pieds dans le sable chaud. Je trouvais cette démarche amusante. J’essayais d’éprouver la sensation de la glace froide en haut, du sable chaud en bas, un contraste sensoriel auquel je n’avais jamais pensé me livrer. Elle s’arrêta près de son parasol, attentive à lécher les gouttes de sorbet qui coulaient déjà sur son cornet. Je cessai de la regarder et repris ma contemplation de l’horizon ; un paquebot, un bateau de pêche, un yacht amarré dans la crique, des baigneurs…

— Tu n’as pas chaud avec cette chemise ?

Je ne l’avais pas vue arriver derrière moi.

— Ah, ça ? Non, je préfère !

Ce que je préférais, c’était cacher une disgrâce infligée par un conflit d’hormones qui se traduisait par deux excroissances sur mon thorax. Je devais ruser pour me déshabiller sans qu’on les voie avant d’aller me baigner. Il fallait que personne ne soit à proximité ; une fois dévêtu, je courais, les bras autour du torse comme si j’avais froid. Debout, en me tenant bien droit, cette poitrine naissante était en réalité à peine perceptible ; assis par terre, les bras autour des genoux, en revanche, les tétons grassouillets pointaient et je n’avais pas trop d’une chemise pour les dissimuler.

Simone fit une moue dubitative. Visiblement, elle ne comprenait pas. Je me risquai à lorgner sa poitrine pour évaluer l’état d’avancement de la mienne. Elle était maintenant obligée de pencher la tête pour récupérer les gouttes de sorbet, en rejetant ses longs cheveux par-dessus son épaule. Simone n’avait pas de poitrine.

Elle était assise en tailleur à côté de moi. Je quittai ma position pour m’allonger sur le dos. Appuyé sur mes coudes, la chemise négligemment boutonnée, je ne quittais pas l’horizon des yeux.

Très concentrée, elle entreprenait à présent de nettoyer le sucre sur ses doigts en les suçotant bruyamment.

C’est quand elle a roté que nous avons réellement fait connaissance.

— Simone !
— Maman ?
— Voyons, ce n’est pas correct. Excuse-toi au moins !

Un éclat de rire bref m’avait échappé au moment du bruit incongru sur le sage bavardage des mamans.

— Tu veux que je m’excuse ? me demanda-t-elle.
— Non, t’es pas obligée.

Alors, fort en direction de sa mère :

— Il veut pas.

A l’exclamation outrée de sa mère, on comprenait qu’elle aurait un nouveau sujet de conversation quand elles auraient épuisé celui de la couleur du vernis à ongle quand on est bronzée.

La proximité de cette fille me posait de multiples problèmes. Je voulais donner le change à son impertinence, dire ou faire quelque chose qui fasse râler ma mère. Je ne voulais pas gâcher l’occasion d’avoir une compagnie régulière pendant les interminables après-midi sur la plage. Je voulais moi aussi pouvoir dire de retour au collège que je m’étais fait une nana pendant les vacances. Je voulais goûter à la présence féminine, même sans poitrine. Je ne voulais pas être seul.

Je me repassai mentalement les conseils de mon père pour opérer une approche discrète mais fructueuse d’une fille de mon âge. Indissociablement, me revenaient les avertissements de ma mère sur les dangers du contact avec les filles. Depuis ma première éjaculation nocturne, elle n’avait cessé de m’expliquer qu’il fallait chercher à rencontrer des filles et qu’il fallait surtout ne pas les fréquenter de trop près.

J’en étais là de mes réflexions quand Simone étendit ses jambes et fit jouer ses orteils, le regard pensif. L’ennui était en train de s’installer entre nous. Il fallait que je prenne les choses en main.

— Tu t’appelles vraiment Simone ?

 

Deuxième épisode

 

 

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