Son silence montrait qu’elle ne trouvait pas le sujet digne d’être discuté. Pourtant, j’avais mis toute ma curiosité possible dans la question.
Alors que nous étions revenus à nos contemplations respectives, j’éliminais toute une série d’introductions au dialogue basée sur ce que je pourrais maintenant appeler le factuel d’une fille. Il ne m’était pas venu à l’idée de lui parler de sa poitrine, la conversation risquant d’obliquer vers la mienne ; il m’était venu à l’idée de la complimenter sur ses pieds, que je trouvais charmants, mais j’aurais approché une familiarité rigoureusement déconseillée.
— Tu viens te baigner ? me lança-t-elle en se mettant prestement debout.
— Euh… oui, pourquoi pas, répondis-je avec une nonchalance feinte. Il était important que je traîne un peu, persuadé qu’elle n’attendrait pas que je me mette en tenue.
Effectivement, elle s’éloigna d’une démarche déliée avant de se mettre à courir vers l’eau. Dès qu’elle eut touché la première écume, elle s’appliqua à faire de belles gerbes en faisant de grandes enjambées et termina sa course par un plongeon. Elle fit surface très vite et se mit à nager la brasse.
J’en profitai pour ôter ma chemise, la ranger pour ne pas provoquer une remontrance de ma mère, puis je me préparai à courir les coudes au corps. Je savais que ranger ma chemise ne serait pas suffisant pour ne pas attirer l’attention de ma mère. Avant que j’atteigne l’eau, elle allait trouver une recommandation à me faire.
C’était aussi bien que Simone n’entende pas.
— Ne va pas loin, à cause de tes crampes.
Ma mère faisait allusion à une de mes premières baignades avec mon père, alors que je savais à peine nager. Le manque d’expérience, une série de vagues un peu hautes, une eau trop froide avaient été les ingrédients pour une crispation générale qui s’était cristallisée dans une crampe à la jambe. J’avais un peu paniqué, mon père aussi et j’étais revenu au sec où ma mère avait pu ajouter son angoisse à ma peur. Depuis, pour elle, j’avais des crampes quand je nageais.
Les deux mamans allaient bien entendu ensuite échanger leurs points de vue sur les flirts de vacances. Comme si on était obligé de flirter quand on est un garçon avec une poitrine naissante et une fille avec une poitrine tardive.
J’avais atteint l’eau et j’y entrai immédiatement tout entier, nageant une brasse dans 50 centimètres d’eau.
Simone vint à ma rencontre et de très loin encore, me lança :
— On va jusqu’au ponton ?
Le ponton était une plateforme flottante à une trentaine de mètres du bord. On y voyait le plus souvent des couples en quête d’intimité ; on y bronzait, on y plongeait, on s’y reposait. C’était aussi un but pour faire la course.
— Le premier arrivé ! ajouta-t-elle en démarrant déjà.
Je ne suis pas un excellent nageur, ni un compétiteur mais je n’aime pas renoncer à un défi. Je me démenai dans un crawl désordonné et parvins à refaire une partie de mon retard. Arrivé presque à sa hauteur, nous étions à quelques mètres de l’échelle. C’est alors qu’elle se retourna, se mit à nager sur le dos et battant vivement des jambes et des pieds m’aspergea copieusement. Aveuglé par l’eau salée, je ne pouvais plus avancer. Quand je réussis à rouvrir les yeux, elle était sur l’échelle. Arrivée sur le ponton, elle se campa sur ses jambes, les bras au-dessus de la tête.
— Gagné ! cria-t-elle avec un large sourire.
— Tricheuse !
Elle m’adressa un rire espiègle et partit en deux bonds s’asseoir sur le bord de la plateforme. C’est là que je remarquai qu’elle était aussi grande que moi, plutôt maigre et qu’elle était légère et qu’elle était gracieuse. En un mot, je découvrais sa féminité.
J’allai m’asseoir à côté d’elle. Je voyais mon père sortir de l’eau et rejoindre sa serviette en prenant soin de ne pas éclabousser les deux femmes. Finalement il secoua ses mains au-dessus de leur tête, ce qui provoqua des gesticulations et des cris inaudibles de loin. Sur le ponton, je glissai un regard vers Simone, elle souriait aussi.
— Qu’est-ce que tu as ? dit-elle en regardant ailleurs. On dirait des seins…
Je savais que la question arriverait et malgré tout, je n’y étais pas préparé. Devant mon silence, elle comprit qu’elle avait la réponse dans sa question. J’étais embarrassé. Pour toute réponse, je haussai les épaules, comme si j’acceptais la fatalité. Comme pour m’excuser aussi de ce stupide aléa qui me rendait différent.
— Je m’en fiche, tu sais ?
— C’est vrai ? Ça fait de moi un garçon pas très…
— Aussi vrai que je m’appelle Simone.
Plutôt gentille Simone, je trouve. Elle se renseigne sur un truc qui l’intriguait, et elle va passer à autre chose. Du moins c’est le sentiment que ça donne. Allons voir le chapitre 3.
Je la trouve sympa cette Simone qui comprend vite, remet tout en place sans s’appesantir et … rassure, non ?
Un dialogue bien mené.
Je me mets à la place du garçon, c’est très embarrassant quand même. Mais pisqu’elle dit qu’elle s’en fiche…!
« Une jolie fleur dans une peau d’vache … » ! … Désolé MC … Elle a été méchante… Peut-être que plus tard elle sera tombée sur un macho … Alors elle se sera souvenue du garçon timide et gentil.
Éternelle incompréhension (soupir). Moi aussi je la trouvais bien gentille !!!
Et qu’en pense l’auteur ?!
L’auteur ne la trouve ni méchante ni gentille. Elle met les choses au point. Et en crevant l’abcès à la fois de cette histoire d’accident hormonal et de ce prénom d’un autre âge, elle met un point final à un sentiment de malaise, probablement partagé. Comme toutes les femmes (elle a déjà commencé à l’être), elle sait donner une chance aux histoires d’a…
Non, elle remet les choses en place : il lui balance une fleur fanée, elle renvoie le bouquet, juste pour dire qu’il faut faire attention aux mots !
Ni gentille, ni méchante… mais pas paillasson pour autant !
Pas méchante du tout, très franche et très « gentille » en même temps, C’est une combinaison rare et c’est dommage.
Maline, cette Simone, et intuitive, et pleine d’attention(s). Cette jolie histoire m’a remise en plus dans l’enfance bretonne, où la nage vers le ponton était un grand basique. Du coup, j’étais encore plus dedans.
Une qui ne se laisse pas faire, mais tout en douceur et sans méchancetée!
pardon : méchanceté !
Elles la voient mais elles peuvent être sympas quand même, certaines au moins…
« Les » filles, je ne sais pas, mais celle-là, en tous cas, elle a cumulé la psychologie, la tolérance et l’art de donner, d’une légère pichenette bien appliquée, une petite leçon de vie bien méritée à un grand benêt !!!
Et toujours aussi bien (d)écrit …