Quatrième épisode
Sur les quelques mètres qui me séparaient de notre emplacement, je me composai une figure moins réjouie. Faute d’avoir le sentiment de mes parents sur leurs nouvelles connaissances, je devais me préparer à un contresens. Ma mère réunissait les affaires et pliait correctement serviettes et paréos. Lorsqu’elle eut fini de remplir son sac de plage, elle me lança un « Vincent ? On y va ? » impatient. C’est vrai que j’avais passé rapidement un short et que, mes sandales à la main et ma serviette sous le bras, j’étais tourné vers Simone et sa mère qui quittaient déjà la plage. Marchant à la traîne, en se retournant à moitié, Simone m’avait fait un petit signe de la main. Le même geste pour dire au revoir ou pour attirer l’attention. Je la regardais s’éloigner quand ma mère sonnait le départ.
— J’arrive ! lui répondis-je. Et je me mis en route pour revenir à sa hauteur.
Dans la voiture qui nous ramenait à notre location, mon père au volant sifflotait en sourdine. Impossible de reconnaître l’air qui lui passait par la tête. Il occupait seulement l’espace sonore pour retarder au maximum le bilan que ma mère faisait après tout événement qui sortait de l’ordinaire. Et cette après-midi sur la plage en était un. En général, elle commençait par les aspects agréables ; c’était pour mieux se concentrer ensuite sur ce qui était déplaisant à ses yeux. Plus question alors de siffloter, ce qui revenait à se fiche de ce qu’elle disait. Mon père avait appris à gérer ce genre de situation. Probablement que par le passé il avait dû discuter, argumenter quand il jugeait une réflexion de ma mère injuste, ou qu’il avait voulu nuancer ses propos. Mais j’avais constaté que sa stratégie avait évolué vers une fine hypocrisie qui consistait à ponctuer les anecdotes par des « Ah ? », des « Mmh mmh… », des « Tu crois ? » auxquels ma mère répondait par des détails supplémentaires : d’un côté, il évitait la polémique et de l’autre, en lui tendant des perches, il offrait à sa femme d’assouvir son penchant bien féminin pour la critique acerbe. C’était sa manière à lui de clore une bonne journée, par un cadeau qui lui coûtait finalement peu.
Or, ce jour-là, aucun laïus. A tel point que mon père se trouva à court d’inspiration et qu’on n’entendit plus que le chuintement du moteur. Le silence ne régna pas longtemps dans la voiture et c’est ma mère qui le brisa mais pas du tout comme j’aurais pu m’y attendre.
Depuis notre départ, je regardais sans le voir le front de mer qui défilait derrière ma vitre. Mes pensées ne se fixaient sur rien de précis. Je n’avais pas une mais une multitude de pensées. Le soleil encore haut mais moins ardent diffusait une lumière moins crue ; les glaces devaient fondre moins vite, voire pas du tout à cette heure de la journée. Une brise du soir s’était levée, à preuve ces fanions qui frétillaient et ces vagues plus nombreuses, plus aiguës ; nager vers le ponton devait s’avérer plus difficile. Des garçons et des filles jouaient au volley sur le sable ; elles étaient fines et légères. Et ils étaient torse nu. Il y avait maintenant plus de vacanciers à la terrasse des cafés que sur la plage, les amis prolongeant la journée autour d’une bière bien fraîche ou d’un coca-rondelle, ou d’un thé glacé. Moi, j’aurais pris un Monaco si j’avais été attablé avec des amis. Ou une amie. Je suis sûr qu’elle prendrait un diabolo-grenadine, bien rouge.
— Et toi, Vincent, comment s’est passée ta journée ?
C’est ma mère qui posait la question, comme si toute son opinion tenait dans l’absence de commentaire de sa part. A moi revenait le privilège de faire le bilan ! Question piège : le risque qu’elle s’appuie sur ce que j’allais dire pour une leçon de morale existait bel et bien.
— Bien. Elle s’est bien passée.
— Cette petite est vraiment charmante.
— Elle n’est pas si petite. Elle est aussi grande que moi.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Elle est bien jeune. Et bien délurée. Tu as vu comment elle parle à sa mère ? demanda-t-elle en se tournant vivement vers moi.
— Ah, oui ! répondis-je avec un sourire dans la voix.
— Comment elle lui parle ? demanda mon père, toujours à la recherche d’un cadeau.
— A la limite de l’insolence, je dirais. Mais enfin, c’est de son âge, ajouta-t-elle.
— Elle n’est pas insolente. Elle est franche. Elle est simple. Elle parle simplement.
— Oui. Ma mère acquiesça à contre-cœur en s’intéressant subitement au paysage.
— L’âge n’a rien à voir avec ça, dit mon père. Y a-t-il de la franchise sans insolence ? Est-on insolent quand on est franc ?
Il avait séparé ses sentences d’une pause étudiée, espérant sans doute orienter le débat vers un terrain plus philosophique. Il avait surtout permis à ma mère de reprendre ses esprits et elle n’était pas disposée à intellectualiser la discussion.
— En tout cas, je compte sur toi, Vincent, pour lui montrer que dans notre famille, on a le respect des parents et qu’on a de bonnes manières.
« Maintenant on va vraiment pouvoir faire ce qu’on veut » avait dit Simone ?
Qui était ce « on », celui de Simone et celui de maman ?
Je ne répondis pas à ma mère.
J’ai rattrapé mon retard et je trouve cette histoire attachante, et ces personnages dépeints avec justesse, défaux y compris. 😉
Le Sage serait-il aussi un Provocateur ? hum…
Quel plaisir de te lire, encore une fois ! Mais Ooooh la laaaa! Sur quel terrain t’es-tu aventuré ? T’as provoqué une bronca féminine !
Pour ma part, je me retranche dans ce « Mmmh ! » prudent qui me ravit ! HA Ha !
Et puis c’est trop bien écrit, plein d’humour discret et de tendresse, j’aime !
Quand le narrateur parle de « LA critique acerbe », il pense en même temps qu’il y a au moins une autre critique qui n’est pas acerbe. Il ne dit pas non plus, le narrateur, que cette autre critique, non acerbe, est le penchant masculin. Et puis d’abord, le narrateur est un pré-ado : qu’est-ce qu’il connaît des femmes ? Hein ? Il connaît sa mère…
Je me garderais bien de surenchérir sur les propos de mes consœurs en commentaires critiques, faute de quoi je sens que notre supériorité (en nombre) pourrait laisser entrevoir un funeste raccourci et qu’une once de mauvaise foi pourrait alors nous précipiter dans la vérification du théorème : [critique acerbe = penchant féminin].
Mais, bien évidemment, de mauvaise foi, notre Sage est tout à fait dépourvu … 😉
Il est néanmoins toujours aussi agréable de lire cette série aux teintes sépia !
Pudiquement, je dirais j’aime cette photographie du siècle dernier : des parents bien pensants et des ados délurés juste ce qu’il faut… les bobos actuels en quelque sorte :-)!
Mais franchement, de quoi cause-t-on ? Je ne me sens pas concernée par ce que certaines soulignent : la critique n’est ni féminine ni acerbe, elle est tout simplement, énoncée et brutale, même pas hypocrite. Peut-être un cocktail d’envie et de jalousie, de regret et de remord, de la part de CELLES qui ont laissé passer leur temps, et le disent, contrairement à CEUX qui ont laissé ce même temps sans vouloir l’admettre…
Je relève aussi « Le penchant bien féminin pour la critique acerbe » (j’en rajoute une couche ! 🙂
Mais c’est bien écrit, tout ça.
Merci Colette !
Oui, qui était ce « on » ? Et je l’aime beaucoup, moi, cette Simone. Nonobstant le « penchant bien féminin… » (De quoi ? Quoi ? Nan mais rgnrgnrgnrgn) j’aime aussi l’ambiance que je connais et reconnais, de la plage, des vacances, du soleil de fin de partie, des joueurs de volley et des parasols qu’on replie. Je vois tout ça et j’entends.
Stratégies familiales…
Le « penchant bien féminin pour la critique acerbe » !¿☆♤!!! 😬😄🙂
HAHA !! Je me suis dit « je connais un Sage qui va se faire basher par toutes les copines ! » 😀
Mais il ne faut pas confondre le narrateur avec l’auteur 🙂