Il était né à l’époque où le vent du Sud entraîne avec lui les oiseaux frileux qui n’aiment pas l’hiver. Quand le bleu s’en va là bas, loin, vers les pays où le soleil est si chaud que les gens portent de l’ombre sur la peau. Il était né en saison floue de brumes grises quand les arbres pleurent des feuilles jaunes et rouges. Né dans une manufacture de jouets comme des tas d’autres petits ours en peluche.

Dans l’atelier, ils attendaient : bleus, marrons, noirs et blancs, tous plus jolis les uns que les autres. Il y en avait même des roses qui semblaient si doux que l’on se sentait tout de suite l’envie de les serrer très fort contre soi. Tous avaient de grands yeux lisses comme des bonbons, tous tiraient une petite langue coquine au goût de framboise. Tous, sauf le petit ours en peluche couleur de pain d’épices.

Parce que les grandes personnes sont parfois négligentes, parce qu’il était sorti le dernier de la machine à faire les petits ours, il n’était pas comme les autres. La machine n’y était pour rien. Elle avait fait de son mieux, mais, ce soir là, elle était si fatiguée de trop de travail… Tout au long du jour elle avait, consciencieusement, bourré, piqué, cousu. Tout le jour, sans prendre le moindre repos, tout le jour, sans une plainte… Mais le soir, alors qu’elle terminait d’enfanter le petit ours en peluche couleur de pain d’épices, elle fut prise de tremblements. Elle se mit ensuite à tousser, tant, qu’entre deux soubresauts elle en oublia de coudre un oeil lisse comme un bonbon ainsi que la petite langue au goût de framboise sur le museau du petit ours en peluche couleur de pain d’épices. Par malchance, la bourre et le tissu virent à manquer. Quand, dans un soupir, elle expulsa petit ours en peluche couleur de pain d’épices de son ventre, un bras lui manquait. Et, comble de malheur, une de ses jambes était plus courte que l’autre…

Tout d’abord, personne ne prêta attention aux infirmités du petit ours en peluche couleur de pain d’épices. Mais bien vite, les autres petits ours (qui rêvaient déjà aux petites filles et aux petits garçons qui allaient bientôt les aimer.) remarquèrent ses défauts et se moquèrent de lui.

Le lendemain matin, des employés en tabliers bleus virent chercher les petits ours pour les installer dans une immense vitrine illuminée où seraient exposés quantité de jouets merveilleux …  Lorsqu’ils découvrirent le petit ours en peluche couleur de pain d’épices, ils éclatèrent de rire et un gros monsieur à la figure rouge l’attrapa par son unique bras et le jeta dans une grande caisse sombre remplie de papiers et de chiffons sales.

Toute la journée, le petit ours en peluche couleur de pain d’épices espéra que quelqu’un viendrait le chercher. Toute la journée il regarda la porte par laquelle s’étaient évanouis les hommes qui avaient emporté les petits ours. Mais lorsque les ténèbres et le silence de la nuit eurent rempli la pièce, le petit ours en peluche couleur de pain d’épices fondit en larmes.

         » Comment une petite fille ou un petit garçon pourrait-il aimer un petit ours aussi laid que moi se disait-il, c’est impossible… »

Ainsi, il ne goûterait jamais le plaisir d’être désiré par des yeux pétillants. Il n’entendrait jamais les histoires que racontent les rêves des enfants. Il ne sentirait jamais leur souffle, leurs battements de coeur, ne connaîtrait jamais leur chaleur… Il ne serait jamais un petit ours en peluche comme les autres.

Le petit ours en peluche couleur de pain d’épices, n’était pas un ours en peluche ordinaire en effet, car si la machine n’avait pu lui donner la beauté, en revanche, au plus fort de ses grincements, de ses gémissements même, elle lui avait fait don du bien le plus rare qui soit en ce monde : un coeur… Et ça lui faisait bizarre de sentir ce tic, tac, tic, tac régulier comme une petite horloge dans sa poitrine.

Fatigué de pleurer, le petit ours en peluche couleur de pain d’épices avait fini par s’endormir. Et il rêvait. il rêvait de sourires d’enfants dans une ronde autour de lui…

Au beau milieu de la nuit, il fut tiré de son sommeil par un curieux frôlement. Il se frotta l’oeil avec son bras et s’étonna de se trouver nez à nez avec une drôle de chose grise à moustaches noires qui riait en se tenant le ventre. Le petit ours en peluche couleur de pain d’épices ne put s’empêcher de rire à son tour, son premier rire. Cela lui fit grand bien.La chose grise à moustaches noires se mit à parler, à parler… le petit ours en peluche couleur de pain d’épices apprit bien vite tous les tracas dont sont victimes les souris (car vous aviez deviné sans doute qu’il s’agissait d’une souris…). Après avoir bien écouté, le petit ours en peluche couleur de pain d’épices raconta à son tour sa courte et triste histoire. La souris grise à moustaches noires hocha la tête à plusieurs reprises pendant qu’il parlait puis, quand il eut fini, lui conseilla de se sauver au plus vite :

      « Demain, des grands humains bruyants vont venir pour nettoyer l’atelier, vider les poubelles et jeter au feu tout ce qui traîne! »

À peine eut-elle achevé d’avertir le petit ours en peluche couleur de pain d’épices qu’un sinistre craquement se fit entendre derrière la lourde porte… Un bruit de pas, des éclats de voix, le grincement de la grosse serrure…/…

À suivre…

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