« Skariphos »
Il aura suffit d’un rien, un mot, un simple mot, griffonné sur le papier pour tout déclencher…
Il aurait pu, se raviser, tenter de faire machine arrière, mais allez donc raisonner un fou, car il faut être fou pour s’embarquer dans une pareille galère…
Pour un être sain de corps et d’esprit, il eut été facile de rayer le mot, de froisser la feuille, de la jeter au panier. Ou mieux encore, brûler le tout, ouvrir la fenêtre et disperser les cendres aux quatre vents. Pour son malheur il n’en fit rien. Et, plutôt que de détourner les yeux comme le requérait le bon sens, l’imprudent ne trouva pas mieux que de se laisser aller à explorer le vocable de fond en comble.
Envisagé globalement, le Mot, bien délié, aux lignes pleines et harmonieuses, paraissait au prime abord, inoffensif ; mais bien sot qui ne se fiant qu’à l’aspect extérieur des choses juge dès la première impression.
Certes, on ne lui reprochera pas d’avoir cédé à la tentation d’égrener chacune des six lettres qui composent le Mot, tant on ne peut que louer l’équilibre presque parfait qui règne entre voyelles et consonnes en celui-ci ; mais qu’il soit fustigé de ne s’être gardé d’en dissiper l’harmonie, en le tripatouillant sans ménagement, et pour finir, de n’avoir pu, dans sa fièvre, se retenir de l’écaler, car ce faisant il libéra toute la force du terme qui, soit dit en passant, dépasse radicalement en sauvagerie tout ce qu’il est raisonnable d’imaginer !
Dès la première incision, pratiquée juste sous la tête, à la base du “ é “, il ne lui vint même pas à l’esprit qu’une fois décapité, le Mot, de part ses trois lettres suivantes générait un “ cri “ ; que si les quatre de derrière, prêtaient à “ rire “ tant elle se tordaient de façon grotesque, ne considérer uniquement que les trois dernières présageait la pire des colères.
Agissant de la sorte, qu’espérait-il ? Réduire le Mot à sa plus simple expression ? en extraire la racine ? taire tous les mots de la terre ? les réduire au grand silence de la page blanche ?
La sentence fut immédiate, la peine, sévère mais juste.
A dater de ce jour, et jusqu’à son dernier soupir, il eut ça dans le sang, un sang d’encre, irrémédiablement.
Gibbon
Scarifier, graver, sculpter scribere écrire … tu tailles les mots comme la pierre.
Tout ce que ce mot peut contenir ! Et je ne te parle même pas des anagrammes !
joli mot d’amour à l’écrit!
C’est bien ces jeux avec le les mots. J’aime quand tu pousses l’écrit…
Bien écrié, bravo !
Je te savais chanteur plutôt folk , mais là tu rejoins plutôt « le chant des oiseaux »
Un bon texte en tension qui monte, puis rue et se débat avant de se pétrifier.
Ah, le pouvoir des mots, on ne se méfie pas assez !
Ah, tu ne fais pas que sculpter la pierre, tu sculptes les mots, aussi. D’où le skariphos, qui est nettement plus adapté.
On voit le poète chanteur, dans ce texte -ciselé, si on peut dire-.
Voltige des lettres pour écrire des rires et des cris et bien d’autres choses encore – comme tu sais le faire Gilbert – pour le plaisir des lecteurs.
C’est pour ça qu’écrire est capital, et peut même, sous des cieux plus austères, être puni de la peine du même nom … Skariphos, scarifier, parfois les textes saignent.
Mais heureusement, il ne s’agit pas que de cela. Les écrits peuvent être aussi caresses, malices, ou rêveries … Et je salue bien bas ton texte qui a si bien su exprimer tout cela et jouer avec le Mot.