Bonjour Thierry.
Bonjour L’Espricerie.

J’ai voulu t’inviter pour vérifier si l’artiste se manifeste chez le décorateur. Moi par exemple, si je dispose un vase de fleurs sur une table basse, choisis des rideaux coordonnés avec les coussins de mon canapé, j’ai décoré mon intérieur. Je suis décorateur alors ?
Merci de m’inviter. J’adore parler de mon travail, même si maintenant je suis depuis quelques semaines à la retraite.
Non. Décorer n’est pas être décorateur. On n’est pas décorateur, on ne naît pas décorateur, on le devient.
C’est une somme d’expériences et de connaissances prises dans une évolution. Et l’évolution ne s’arrête pas.
Et pour le devenir, il faut de l’envie, de la passion ; être manuel aussi. La relation main-tête est importante. Parce qu’être décorateur commence d’abord par la conception de ce que l’on va réaliser. La décoration, c’est penser avec sa tête et savoir traduire avec ses mains.
Savoir traduire est la base de l’apprentissage.

Alors comment est-ce que tu es devenu décorateur ?
D’abord en étant un mauvais élève, au collège. Je devais être dirigé en classe de transition mais j’ai intégré un collège d’enseignement technique. Là, j’ai préparé le concours d’entrée au Lycée technique Boulle, qui depuis 1969 s’appelle l’Ecole Supérieure d’Arts Appliqués.

J’avais déjà une prédisposition pour le dessin.

 

 

 

 

Il fallait se spécialiser, j’ai choisi l’ébénisterie.

  

Et depuis, le travail du bois est resté ton intérêt principal.
C’est vrai que cela m’a beaucoup servi dans la suite de ma carrière, mais cela n’a pas été déterminant. A Boulle, j’ai acquis les bons gestes et aussi appris à faire des plans masses et des maquettes.

  
A la Fleur Séchée – Chez Juliette (L51, H32, P18)

 

C’est le côté manuel de ton travail.
Oui. Les dessins, c’est bien, les plans, c’est bien aussi mais on ne se rend mieux compte du résultat final qu’avec une maquette. Et j’ai adoré faire des maquettes. J’en ai fait pour des amis, pour mes nièces, pour le plaisir.

 

Dorothée Pharmacienne
(L36, H24, P16)

 

  

 

 
 

Et pour le leur, j’en suis témoin ! C’est là que commence ta carrière ?
Je le crois, oui. Avec ce bagage, j’ai décroché un premier emploi dans le bâtiment, puis enchaîné plusieurs emplois temporaires, des CDD dirait-on aujourd’hui. Pendant ces années, j’ai mis en pratique et consolidé ce que j’avais appris à Boulle. C’est cela qui a été déterminant ; je commençais à emmagasiner expériences et connaissances.
Puis j’ai intégré la société Oger International, maître d’œuvre de l’agencement de palais en Arabie Saoudite. J’étais en lien avec des décorateurs et des architectes. L’agencement d’un palais mobilise tous les corps d’état. Ils ont chacun leur exigences techniques, qui s’opposent parfois aux options de décoration. Or, ce qui compte au final pour le client, en l’occurrence un roi ou un prince saoudien, est bien le décor, ce qui se voit. Le décorateur doit faire la synthèse entre tous les corps d’état. Même bien plus que cela : il a un rôle d’animation et de pilotage des corps d’état.

Encore des expériences et de la connaissance donc.
A la fin de ces missions, j’ai été embauché par Didier Aaron, grand antiquaire à Paris, comme assistant décorateur indépendant ; la spécialité de la maison était le mobilier français ancien. Mais ce n’était vraiment pas un environnement pour moi. Par bonheur, Didier Aaron s’est associé avec Jacques Grange, un décorateur très en vue sur la place de Paris.

 

Cet homme avait un incontestable charisme, une aura qui séduisait et qui lui ouvrait les portes des célébrités. Au cours des 13 années passées à ses côtés, j’ai travaillé à la décoration d’intérieur pour Catherine Deneuve, Isabelle Adjani, la Princesse de Bahreïn, et bien d’autres. Le bouche à oreille fonctionnait à plein parmi la jet society.

C’est à cette époque que j’ai réalisé l’un des plus beaux projets de ma carrière : l’aménagement du bateau de Caroline de Monaco, le Pacha III. Un jour, Didier Aaron a demandé qui avait des expériences dans le domaine maritime. « Moi », j’ai répondu. Et j’ai été embarqué dans ce projet.

 

Le bateau avait été utilisé par des plongeurs ; son aménagement était sommaire et répondait à leurs besoins mais il avait une histoire.

 

 

 

 

Il a fallu repenser entièrement l’agencement et la décoration, de la ligne de flottaison jusqu’aux cendriers, en passant par les chaises longues, les escaliers… Cela a été un travail de concepteur, à l’écoute du commandant, dépositaire de l’histoire du navire, du décorateur en chef, Jacques Grange et de la cliente, Caroline.

 

 

 

 

Tout a commencé par le dessin d’une banquette sur le pont en poupe, qui a séduit tout le monde.

 

Puis par « la soupière », une sculpture de balustre en départ d’escalier.

 

J’avais la maîtrise et on m’a fait confiance. Puis a suivi la timonerie, les salons, les chambres…

 

 

Tu parles de conception, j’entends plutôt créativité !
L’expérience, la connaissance, la maîtrise, l’évolution… Ça mène où tout ça ?
Chez Saudi Oger, où j’ai été salarié. Après la guerre du Golfe, il y avait une forte demande de construction et de décoration de palais royaux. Et là, j’ai encore appris autre chose, qui touche à la fois la technique et la culture.

 

 

A mi-chemin entre le dessin et la maquette, il y a la perspective. Ces quelques représentations sont des œuvres collectives. Un décorateur n’est jamais isolé.

 

 

 

 

 

 

Et pour des projets aussi importants, plusieurs décorateurs travaillent en équipe, en collaboration avec un ou des perspectivistes.

 

 

 

 

 

 

Il faut savoir qu’en Arabie Saoudite, il y avait, et peut-être encore maintenant, une hiérarchie sociale liée à la nationalité. En haut de l’échelle étaient les Américains, venaient ensuite les Libanais et les Français en bonne place. En bas de l’échelle étaient les Indiens suivis des Philippins, une main d’œuvre que j’étais chargé d’encadrer.

Je me suis aperçu et j’ai compris que ces ouvriers, ces petites mains, étaient porteurs d’une culture que je ne possédais pas et ne pourrai pas posséder. Je pouvais bien dessiner des motifs de sculpture, les assembler, les revisiter, ils savaient interpréter mes demandes et étaient mieux à même que moi de les réaliser parce qu’ils ajoutaient la dimension de leur culture à mon simple dessin. Leur travail a été d’un irremplaçable secours.

 

 

Et en plus, ces « ouvriers » étaient formés aux nouvelles technologies et utilisaient le dessin assisté par ordinateur comme moi le papier-crayon. Aussi, lorsque je devais corriger ou préciser un motif, j’avais beaucoup de mal à les suivre à l’écran et souvent je leur demandais d’imprimer le dessin.

Il était temps que tu prennes ta retraite !
Ce n’est pas arrivé tout de suite ! J’ai terminé ma carrière au Maroc comme chef du bureau d’études avec notamment l’aménagement de l’Université Paris-Sorbonne d’Abu Dhabi dans la capitale des Emirats Arabes Unis.

Et maintenant ?
Maintenant ? Je m’occupe de tous les travaux à la maison que j’ai délaissés pour en faire chez les autres !

 

 

Et pour poursuivre, visitez le site Arch-eylus-Project

 

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