CHLOÉ GABRIELLI, CONTEUSE
Conversation entre Chloé et Claude Hersant.
C.H. : Bonjour Chloé, tu es conteuse.
Chloé : Oui, c’est ça.
C.H. : Pourrais-tu nous expliquer ce qu’est le conte maintenant, et ce qu’est un conteur ?
Chloé : C’est une très vaste question, tous les organismes professionnels de conteurs réfléchissent à cette question.
Il y a plein d’écoles différentes à ce sujet. Le conte est sans doute l’art le plus ancien du monde, déjà à l’époque des peintures rupestres… C’est un art qui s’est développé depuis que l’homme est l’homme, un art non professionnel. Il était pratiqué plutôt dans les veillées, il y avait une personne par village qui était « le conteur » et qui transmettait les légendes et contes de l’endroit, il y a des contes dans chaque région.
Il existe des points communs, par exemple on retrouve le personnage de «Jean le sot » partout : c’est l’idiot du village.
Et puis les contes ont voyagé avec les peuples.
C.H. : Dans quelles conditions se racontaient les contes ?
Chloé : A la veillée, pendant l’hiver surtout. En Ardèche, en préparant les châtaignes. C’est pour cela que le conte n’est pas fait pour les enfants, le conteur raconte, pour les gens, et les enfants écoutent ou pas.
Ça n’est que depuis Charles Perrault (mort en 1703) qu’on a commencé à faire des contes « pour enfants ».
C.H. : Peux-tu préciser à quoi le conte peut servir à ceux qui écoutent ?
Chloé : Il a plusieurs rôles. D’abord transmettre les histoires du pays, ce qui était arrivé, et décrire les lieux. Et puis le conte est thérapeutique, et initiatique, on transmet des messages par le conte.
Il y a aussi tous les contes dans lesquels on critique le seigneur, le pouvoir. Le conte a eu des rôles divers au cours des siècles.
C.H. : Maintenant, depuis les années 80, on entend parler à nouveau du conte.
Chloé : Ça a recommencé avec Bruno de La Salle, qui a créé sur scène « Le récit de Shéhérazade » au Festival d’Avignon dans la grande cour. En 1982-1983. C’est à partir de ce moment qu’a eu lieu le renouveau du conte.
Le récit de Shéhérazade durait une nuit entière, avec trois conteurs, quatre musiciens, c’était spectaculaire. C’est de là que le conte a resurgi et est devenu un art du spectacle vivant.
C.H. : Ça fait donc une différence notable avec le passé.
Chloé : Oui. On a continué à transmettre ce patrimoine oral, qui est d’ailleurs reconnu à l’UNESCO comme patrimoine mondial de l’humanité.
Maintenant viennent s’ajouter des récits de vie, mais on a gardé la mythologie et les légendes.
C.H. : Peux-tu nous dire comment pratique le conteur ? Connaît-il son texte « par cœur » ?
Chloé : Il n’y a pas de définition du conte puisqu’il existe plusieurs « écoles », et il n’y a pas non plus de définition du conteur.
Chaque conteur est unique, et a sa propre technique, sa propre manière de conter. Certains conteurs adaptent des contes anciens et les font se dérouler dans des villes ou des cités.
Certains aussi écrivent des histoires, la petite différence que je ferais, c’est que le conte, c’est ce qui fait partie du patrimoine, ce qui nous a été transmis depuis des siècles. Ce qu’on écrit maintenant, les histoires, ce n’est pas du conte.
C.H. : Donc, on ne peut pas renouveler ?
Chloé : Disons que non. On peut renouveler les versions qu’on en donne, mais la structure reste la même. C’est la particularité du conteur d’avoir sa propre version.
Le conteur n’apprend pas par cœur, le conte est toujours vivant et s’enrichit avec le temps, il y a des contes que je raconte depuis vingt ans et maintenant, depuis que je suis mère et que j’ai pris de l’âge, je ne raconte plus de la même manière, mais sans changer la structure de l’histoire.
Vous pouvez retrouver la même structure d’un conte en Russie, en Tunisie, en Bretagne… ce sont les détails et les lieux qui diffèrent.
Quand on est amateur de contes, on se régale d’entendre un conte par des conteurs différents, avec des nuances différentes, on aime la variété des versions.
C.H. : Y a t-il des constantes selon les différentes régions du monde ?
Chloé : Oui, le conte ne traite que d’une dizaine de thèmes environ, les thèmes de l’humanité, comme la traîtrise, l’amour, la recherche du bonheur.
Il y a aussi quelques particularismes : en Bretagne, les petits êtres, les feux-follets qui peuplent le pays ; en Russie, le conte est très long, avec trois princes à qui il arrive trois aventures chacun ; en Afrique, il y a beaucoup d’histoires de dévoration, la musique, le rythme des saisons.
C.H. : Est-ce que le fait que le conte soit devenu un métier, une profession, ne casse pas un peu la magie ?
Chloé : Non, le conte s’est enrichi de nouvelles histoires, et il n’a donc pas perdu au change.
Et puis les veillées n’existent plus, et donc on a vraiment le rôle, en tant que conteur, de continuer à transmettre ce patrimoine, sinon qui le fera ?
C.H. : Le conte a-t-il gardé la même puissance et valeur ou est-il devenu plutôt un loisir ?
Chloé : Évidemment, je vais dire qu’il a gardé la même puissance et valeur, et les gens le recherchent alors qu’ils ont le cinéma et la télévision. Ils recherchent ce patrimoine, le conte est enrichissant et fait réfléchir, dans le conte, il y a tous les problèmes humains et souvent leur résolution. Le conte est thérapeutique.
Et puis ça fait « être ensemble » , mais de manière relativement intimiste et chaleureuse, les conteurs ne remplissent pas des stades ou des « Zénith » !
Le conteur a une vraie interaction avec son public, ce qui n’est pas le cas au théâtre. Il interpelle le public, et parfois (comme on n’est pas dans le « par cœur ») l’histoire va fluctuer et s’enrichir de la réaction du public.
Il ne faut pas croire non plus que le conteur ne travaille pas, au contraire, c’est un très long travail. Sur le rythme, sur la hauteur de voix, les silences, les adjectifs choisis, on travaille absolument sur tout. Et puis on est seul en scène, sans comparse, sans artifice.
C.H. : Depuis combien de temps pratiques-tu le conte ?
Chloé : Ça fait presque vingt ans que je suis professionnelle. J’avais fait des études de droit pour être avocate…
Ma mère était conteuse depuis les années 80 et le renouveau du conte, j’avais donc un très grand répertoire quand j’y suis venue. J’ai tourné en Ardèche, dans toute la France et les pays francophones. C’est vraiment mon métier, comme un musicien qui ferait des concerts.
Je suis aussi art-thérapeute par le conte, j’organise des festivals, je forme des enfants ou des adultes au conte.
C.H. : Merci beaucoup Chloé !
MERCI A CHLOÉ GABRIELLI DE NOUS AVOIR FOURNI LES PHOTOS DE SES SPECTACLES.
Pour écouter Chloé et assister au FESTIVAL DE CONTES EN RHÔNE-ALPES du 25 mai au 9 juin 2018, suivez le lien ci-dessous :
Voici d’ailleurs quelques extraits de ses spectacles :
(Vous pouvez aussi visionner un conte pour enfants dans son intégralité, en cliquant ici : « Enfantines »)
Chloé est aussi l’auteure d’un LIVRE-DISQUE JEUNESSE. Pour en savoir plus, suivez ce lien :
« VOIR AILLEURS SI ELLE Y EST »
Bizarre… Il me semblait avoir posté un commentaire…
J’étais séduit par l’expressivité, la bienveillance faite de douceur et de grâce, le choix des mots… Et je le suis encore aujourd’hui en relisant ces lignes.
Tu en avais eu l’intention, ça m’arrive aussi…
C’est toujours sympa de faire un tour sur les articles des mois précédents.
Merci à chaque conteur de porter et transmettre, avec sa propre sensibilité, les clefs de la nature humaine, du pouvoir et des merveilles de la nature, tout court. Merci pour ce reportage bien vivant et la passion transmise.
J’ai apprécié ces petits extraits, petits moments contés.
Chloé, l’auditrice que je suis ne peut que succomber à votre charisme et vos dons de conteuse. Une envie de venir écouter les mots et les mains.
En d’autres temps et lieu, j’avais des amis conteurs, perdus de vue. Vous faites aussi renaitre ces années…
Quel plaisir d’écouter des contes surtout bien racontés !
Un prince qui ne dit qu’un mot par an et quel mot, quel bonheur !
Je vais regarder vos destinations pour profiter en direct.
Merci de vos éclairages sur les contes.
Évidemment, Rhône Alpes, ce n’est pas la porte à côté pour la plupart d’entre vous, mais si vous avez l’occasion, ou si Chloé se produit un jour plus près de chez vous, n’hésitez pas. Je l’ai vue et écoutée plusieurs fois en spectacle et c’est toujours un bonheur.
Et j’ai aussi découvert nombre d’autres conteurs au cours des années ou en festival d’été, certains m’ont vraiment impressionnée.
Merci à toi Chloé d’avoir accepté cet interview.
Jolie découverte … Ça renforce encore plus le rôle des Parents et grand parents dans la transmission aux enfants et petits enfants de cette mine d’or qui nourrit l’imaginaire … Le Conte !
raconter, conter c’est dire aussi avec le corps, le pouvoir de la voix et du geste . Merci!
Vous pouvez aussi découvrir mon côté auteure avec ce livre-CD qui est sorti en 2017 : http://lesogres.com/blog_irfan/index.php?post/2017/05/24/VOIR-AILLEURS-SI-ELLE-Y-EST-%3A-NOUVEAU-LIVRE-DISQUE-JEUNESSE
à bientôt….
Moi j’aurais bien aimé savoir ce que le bûcheron a fait du pot d’or et de sa femme bavarde. Je sais ce que j’aurais fait de l’un et de l’autre, mais c’est toujours bien d’avoir l’avis d’un spécialiste.
Sinon, le conte oral est vraiment super-agréable, c’est un spectacle euphorisant, surtout avec le talent de Chloé. J’ai connu et je connais toujours des conteuses par écrit, qui remettent ces contes à leur sauce, et à leur plume. Ce n’est pas très traditionnel selon la définition de Chloé, mais pour les gens (comme moi) qui ont des problèmes d’acouphènes, c’est bien pratique, hu hu hu.
Merci Chloé, merci Claude.
☺
Je suis assez d’accord avec toi, Castor. C’est pour ça que j’ai aussi regardé toute la vidéo « Enfantines » qui est en lien, et ça m’a drôlement plu d’avoir 5 ans ;-)))
Je lis, je regarde, j’entends … et je me dis qu’il y a vraiment des métiers merveilleux. Au sens premier du terme !!
Offrir du rêve par le pouvoir de la voix et des mots, par les expressions du visage, des mains : c’est vraiment magnifique …
Merci à tous de vos compliments, cela me touche. venez écouter les spectacles ne live c’est encore plus agréable et l’on connait la fin des histoires 🙂
à découvrir aussi : http://www.amac-parole.com
Ce serait vraiment avec un très grand plaisir, Chloé. Et puis, comme Castor, j’aurais bien voulu savoir ce qu’il est advenu du pot d’or (entre autres !!).
Mais je suis bien trop loin … Et pas encore assez disponible pour pouvoir sillonner la France à ma guise. Sachez que je le regrette à plus d’un titre !!! 😉