Nos esprits ont émergé de cette matinée de volupté aussi laborieusement que nos deux corps de son canapé. Néanmoins, en coordonnant nos efforts, nous sommes parvenus à nous extirper de ce piège de sensualité qui s’était un temps refermé sur nous. J’étais encore groggy d’avoir passé des heures inoubliables collé aux appas de Katia, quand elle m’a entraîné dans la salle de bains afin de prolonger ces instants d’intense intimité. Nous avions partagé un canapé hors d’usage, je pouvais bien partager avec elle une baignoire. Dans l’eau savonneuse, Katia s’est faite encore plus ensorcelante que sous son imper. C’est dire !
Tantôt dissimulés par la mousse du bain, tantôt magnifiés par elle, ses seins qui dansaient devant mes yeux incarnaient une tout autre farandole que ces obscènes ballets d’éléphants roses auxquels je m’étais bêtement accoutumé. Cela relevait même de l’authentique chorégraphie. D’ailleurs, il m’a alors paru évident que je me devais désormais de scinder ce joli mot de « chorégraphie ». Maintenant que j’avais rencontré Katia, il me devenait naturel de l’écrire « corps et graphie », puisque ces deux termes la qualifiaient à merveille. Le premier était le support le plus parfait dont on puisse rêver pour s’adonner aux joies de l’écriture. Quant au second, par les approximations qu’il étalait, il demeurait lui diablement perfectible.
L’idée de reprendre en mains son orthographe désastreuse m’a rapidement traversé l’esprit, afin que celle-ci soit un peu plus en phase avec les lignes merveilleuses qui lui servaient de page blanche. Arguant que ses messages seraient beaucoup mieux perçus par le public qu’elle visait si elle en améliorait l’orthographe, je lui ai proposé mes services. De plus, même si souvent les médias s’exprimaient dans un français d’aéroport, des fautes énormes – et donc décelables par un présentateur du vingt heures ! – n’étaient guère propices à l’avancée de la cause des femmes. Et rien qu’avec ce qu’elle m’avait montré dans le pub – son « exclavage » me restait en mémoire – on partait de loin. Mais entre nous, ça tombait plutôt bien, car j’avais décidé que pour elle j’aurais tout mon temps.
Elle a convenu qu’elle ne s’était jamais arrêtée sur les subtilités de l’orthographe. C’était un domaine qui demeurait pour elle de l’ordre de la terra incognita. Cela ne la perturbait pas outre mesure, considérant que tant que le contenu d’un message restait compréhensible, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat.
J’ai fini par la convaincre de mieux prendre en compte la forme du message, et ne pas se focaliser seulement sur son contenu. J’ai ajouté que ce ne devrait pas être insurmontable vu que les formes, elle savait déjà indéniablement les mettre là où il fallait pour appuyer son propos. A ces mots, Katia a ajouté à sa jolie frimousse une fugace rougeur. J’ai été ému de sa réaction cutanée.
Nous avons débuté sa première leçon d’orthographe personnalisée sans tarder. J’ai décidé d’opter tout d’abord pour du purement pragmatique. Je l’ai laissée inscrire sur son torse fabuleux la liste des courses et j’ai constaté sans surprise que le rattrapage s’annoncerait ardu. Mais j’étais empli d’espoir, même si le lait en troquant son « t » pour un « d » était devenu très moche, et que les cornichons s’étaient métamorphosés en un nom composé, sans doute en raison de ce que son propre corps évoquait pour tout un chacun…
J’ai apporté à sa liste les corrections nécessaires, puis nous sommes descendus jusqu’à la supérette la plus proche. Moi avec un panier sous le bras, elle enveloppée dans son ciré. Avec Katia à mes côtés, ce samedi après-midi s’annonçait rayonnant. L’amour me rendait guilleret au point de me rendre mes contemporains supportables. Et sans même le secours d’un whisky. J’étais tellement heureux que j’étais enclin à sourire à leurs morveux voire à leurs clébards. D’après notre contrat, j’avais encore six nuits à passer auprès de Katia, et cette perspective-là valait tous les bonheurs terrestres.
Faire des emplettes avec ma belle activiste relevait du ravissement absolu. Je remplissais le panier, puis faisais mine de ne pas me souvenir de telle ou telle bricole à acheter impérativement. Katia ouvrait alors discrètement sa gabardine pour me faire retrouver la mémoire… Avec sa pédagogie, je crois bien que j’aurais appris par cœur l’annuaire en ouzbek ou le tableau de Mendeleïv, et sans la moindre difficulté !
Hélas, la pure félicité s’installe rarement dans la durée ! Il vient toujours un temps où elle reflue pour laisser le champ libre à cette consternante routine dépourvue du moindre soupçon d’exaltation. Sans doute la belle Katia a-t-elle estimé qu’elle ne progressait pas avec une rapidité suffisante, ou bien trouvait-elle le temps long à se tenir éloignée des bars topless ? Y mettre un peu de pagaille devait lui manquer… En tout cas, jour après jour, je l’ai sentie de plus en plus réticente à rectifier son orthographe incertaine. Même si nous n’avions pas clairement tranché sur la durée de mon séjour chez elle, je voyais bien qu’elle avait démarré le compte à rebours.
Et hier soir, alors que j’étais rentré fatigué du bureau, elle avait préparé une nouvelle liste de courses. Manifestement, elle s’en était donné à cœur joie. Pas un mot qui ne contînt de faute énorme. Je me suis même demandé en découvrant comment elle avait écrit « vinaigre », si elle n’avait pas décidé de verser dans le calembour revendicatif. Découpé en deux mots, son « vie-nègre » prenait des allures d’existence sortie tout droit de la Case de l’Oncle Tom. J’aurais dû prendre le temps de m’asseoir auprès d’elle, d’examiner attentivement sa prose, de caresser du bout des doigts puis à pleines mains ce qu’elle m’avait écrit aussi. Mais la supérette allait fermer dans moins de vingt minutes et j’étais crevé. Alors, je lui ai dit que ce n’était pas possible, qu’il fallait qu’elle soit plus attentive, que sinon on n’y arriverait jamais. Ce genre de trucs complètement défaitiste qu’on ne peut pas énoncer sans risque devant quelqu’un arborant l’un des plus ravissants 95 C de la création.
Elle m’a fusillé du regard, a refermé sur elle les pans de son imper, puis a filé dans la salle de bains dont elle a fait violemment claquer la porte avant d’en tirer le verrou. Comme on tire un coup de revolver. Je me suis précipité à sa suite, ai martelé la porte du plat de la main. J’ai lâché quelques sincères « Katia, ouvre-moi, je suis désolé ! » que j’ai doublé d’un non moins sincère « Katia, laisse tomber les courses, je t’emmène au restau !… ». C’était notre première dispute et elle me fichait une trouille de tous les diables. Elle n’a rouvert qu’au bout d’un interminable quart d’heure. Elle avait pleuré ; ses yeux étaient encore gonflés de larmes. Avant que je ne puisse l’attirer contre moi pour la consoler, elle m’a repoussé d’un geste ferme de la main. Et sans un mot, à nouveau, elle a écarté les bras pour me révéler son dernier message :
-
Thyre-toi pôv tâche ! »
J’avais sous les yeux la preuve que Katia resterait à jamais un cas désespéré en matière d’orthographe. Le pire, c’est qu’elle en était fière. Elle avait ajouté un « th », métamorphosé un « i » en « y », juste pour faire savant. Pour me narguer sans aucun doute. En même temps, elle avait songé à ne pas omettre le trait d’union, ce qui constituait un indéniable progrès, quoique qu’insuffisant. Et puis cet accent circonflexe qui s’en venait chapeauter un mot censé avancer tête nue, achevait de me consterner. Je n’ai pas insisté. Comme quelques jours auparavant, je me suis retrouvé à même le pavé, mon recueil de poésies d’Apollinaire sous le bras, à bougonner quelque chose du genre :
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Décidément, mon vieux Patrick Poissard, tu n’as pas de chance avec les femmes… »
En même temps, aujourd’hui, je me rassure : il y a très certainement à travers tout le pays des centaines, sinon des milliers de femmes qui se montreront tout disposées à me larguer avant même de m’avoir seulement adressé la parole. J’en suis persuadé. Et sur la base de cette hypothèse, peut-être que je ne tarderai pas à abandonner mon addiction au whisky… pour verser dans la mise au gin.
Retour à la case départ pour Patrick. Katia, c’était une carte chance du Monopoly : tu la tires en espérant faire une affaire et elle te ruine au final.
(Très jolie nouvelle)
Pour ta gouverne, Ô SAGE parmi les sages, sache que cette nouvelle (plus une inédite) sera interprétée publiquement à Angers, au bar culturel « The blue monkeys », le 13 octobre prochain ! Qu’on se le dise !
Et Katia sera là ??? J’arrive !!!
Oui ! La mise au verre s’impose pour notre héros…
Ah ! J’ai mis le temps à venir lire cette fin tragique ! Je me doutais bien que ça tournerait mal !
Les ressorts sont cassés bien sûr !
Vot’Ka me semble désespéré mon cher Patrick … Patrick Poivrot d’Armor, c’est bien ça ?
Frencheuman, kel fame poux ré suporthé 1 tip par eille. Joraie clacké la porc teux 2puits l’on tant.
Un seul conseil Patrick : si tu ne peux pas garder une déesse se prénommant Katia, finis ta vie avec ton petit Robert.
Pôv kon
(pardon Albert pour les fautes d’orthographe volontaires il va de soit) !
Lâcher un bipède mâle doté d’une telle motivation, (prêt à apprendre l’annuaire en ouzbek, quand même ! ) c’est petit, pardon, peuti.
Bigre. C’est la saint Patrick. Il va pouvoir se mettre son orthographe sur l’oreille, avec le reste.
Et bien voilà… A vouloir jouer au petit maître, il a perdu sa maîtresse. Et puis, les Y, c’est quand même drôlement graphique ! Par exemple, la thyre lyre, c’est joli, non ?
D’accord avec Cachou ! Question d’expérience … si, si, au delà de 90 … (d’ailleurs le gouvernement préconise à présent 80 …)
Le 95 C, même pourvus d’une cédille sont un risque majeur en cas de défaillance des « balconnets » ; dans le moindre des cas, des bleus aux genoux !
😮
Que les hôm sont taire à taire !
Tu connais l’histoire du mec qui peint inlassablement, et toute une vie durant, son égérie ? Au bout de 50 ans, alors qu’il n’a cessé de rectifier le tableau pour atteindre la perfection, il l’a enfin terminé : un portrait en nu d’une jeune et belle femme de 20 ans lui sourit sur la toile. Il blêmit, regarde le portrait peint, le modèle assidu en parallèle et se dit : « bon dieu, pourquoi n’ai-je pas pensé à la sauter plus tôt ? »
Ben voilà, ce Patrick me fait penser à ce genre de personnages qui ne voient que leur « passion » : les uns la peinture, les autres les mots… au détriment des « choses » simples.
Peut-on raisonnablement en déduire qu’un « ravissant 95C » ne peut suffire à combler Patrick Poissard ? Car c’est alors que la mise au gin se serait imposée … !!
D’autant qu’un 95C tient rarement ses promesses sur la durée (un 90B encore, je dis pas, mais rarement au-delà), tandis que la science des ânes peut vous faire braire de bonheur toute une vie durant. Si, si ….