Je m’installai dans le canapé qui se révéla bien davantage hors d’usage que je ne l’aurais imaginé, et me remis à contempler les slogans étalés sur les murs du salon, histoire de me suggérer une diversion sur mesures. Je me serais attelé à la lecture assidue d’actes notariés pour tenter d’oublier les charmes de mon hôte et contenir les intimes effets que cette vision m’avait occasionnés. J’entendis durant quelques minutes un peu d’agitation dans la salle de bains toute proche puis la vis revenir, souriante, vêtue d’un peignoir d’éponge.

  • Je vois que vous êtes tombé dans le piège de ce canapé.

Avant même que je ne lui réponde, elle commença à rire franchement :

  • Ah, ah ! Je ne suis pas sûre que vous arriverez à en ressortir tout seul !… Bon, je vous laisse, j’ai une tisane à préparer.

Mon regard se porta sur son élégante silhouette se dirigeant vers la cuisine. Jusqu’alors dissimulées par ses bottes, ses jambes émergeaient de l’étoffe et se révélaient enfin à mes yeux. Avec l’efficacité semblable à celle d’une évidence frappant les esprits. Et comme si leur galbe ne suffisait pas, elle leur avait encore ajouté la finesse de ses chevilles. Cette fille-là était un condensé de beauté féminine. Ses pieds nus qui foulaient le parquet parachevaient le tableau. Katia, c’était du pur érotisme en marche. Même si pour l’heure, seule la perspective pas vraiment grisante de boire une verveine était uniquement au programme. Tisane qu’elle apporta du reste sans tarder, dans une jolie théière reposant avec deux tasses, deux cuillères et un sucrier sur un plateau circulaire. Elle posa le tout sur la table basse en rotin qui faisait face au « canapé-piège », puis elle s’installa à mes côtés. Elle me décocha alors un sourire juste pas possible tout en prononçant :

  • Oh, ce n’est pas très malin de m’asseoir à côté de vous ! Nous voilà tous les deux coincés dans le canapé. Il va falloir nous aider mutuellement pour en ressortir.

Très honnêtement, je n’ai pas imaginé une seconde que son oubli était intentionnel. Il est vrai qu’au-delà de cinq heures du matin, une certaine fatigue peut vous conduire à de pitoyables étourderies. J’ai juste répondu :

  • Bah, buvons d’abord votre tisane ! Nous verrons après comment nous extraire de là.

Elle acquiesça tout en renouant avec cette mine soucieuse qui était la sienne lorsque nous marchions encore dans la rue, avant qu’elle ne me propose d’aller boire son pisse-mémé. Son inquiétude me parut même aller en s’intensifiant :

  • D’accord, mais avant, je voudrais vous demander quelque chose…

    Je répondis par un bref mouvement ascendant des sourcils et des épaules pour l’encourager à poursuivre. Elle desserra la ceinture de son peignoir dont elle écarta les pans généreusement, m’amenant à lire la nouvelle doléance qu’elle avait inscrite sur sa peau. Pendant que je prenais connaissance des slogans placardés dans le salon, la belle s’était adonnée à de rapides travaux de calligraphie dans sa salle de bains. Littéralement ébahi, je découvris la phrase suivante :

  • Restes avec moi sept nuit !

    Je ne savais pas trop comment je devais interpréter sa revendication. Je fis immédiatement abstraction du mauvais sort qu’elle avait réservé à l’impératif, pour me concentrer sur la fin de son message. Devais-je y entrevoir une nouvelle fois, l’expression des facéties de son orthographe, ou déjà la perspective d’une relation éphémère ? En gros, cette idylle même pas débutée s’inscrivait-elle dans le cadre d’un CDD ? Je ne sais pas pourquoi j’ai préféré opter pour un regain d’optimisme. J’ai voulu y déceler que sept nuits, ce n’était déjà pas si mal. Une semaine entière avec une presque Miss Monde, je n’allais quand même pas faire la fine bouche ! Surtout en ayant le soir-même, été remercié par Anne-So. D’autant qu’il fallait avouer que Katia possédait des arguments qui faisaient cruellement défaut à cette chère Anne-So. Alors si la marque du pluriel avait finalement migré sur la forme impérative du verbe rester, ce n’était que péché véniel… Au fond, elle avait réparti le bon nombre de lettres sur l’ensemble de sa phrase, ce qui n’était déjà pas si mal. Je l’attirai vers moi pour l’embrasser tendrement.

    Indéniablement, Katia maniait autrement mieux la langue qu’elle ne l’écrivait. Ses baisers relevaient de l’enchantement, de l’envoûtement. Pour ma part, je tenais à lui distiller quelques phrases d’une délicatesse appuyée, des propos que je lui délivrais avec un léger accent que j’aurais voulu pas trop imprégné de whisky. Voire dans ce patois parlé par tous ceux qu’une flèche de ce vieux farceur d’Eros vient de transpercer. Le retour continuel des lèvres de Katia sur les miennes, leur tendance à s’y accoler dans une joyeuse exaltation, me rassurèrent sur les effets que mes penchants de buveur invétéré auraient pu avoir sur mon haleine.

    Le canapé quant à lui, joua à merveille son rôle de piège. Il devint promptement la nasse la plus agréable que j’aie jamais connue. Et si son aspect passablement défoncé mettait mon dos en marmelade, le corps de Katia ondulant sur le mien valait toutes les couettes du monde et rachetait cet inconvénient. A chaque pression qu’elle exerçait sur mon côté face, mon côté pile s’enfonçait un peu plus, descendant d’un cran supplémentaire dans des oubliettes peuplées de ressorts épuisés et de coussins élimés. Je me suis brièvement demandé si la mignonne continuerait de me bécoter une fois que j’aurais atteint le sol et que juste ma tête s’exhumerait de son divan à double fond. Nonobstant ce détail qui me précipitait chaque instant davantage dans des abîmes colonisés par des générations d’acariens, ce divan avait tout du divin. Il devint même totalement paradisiaque quand le peignoir de Katia rejoignit le parquet pour y demeurer inerte jusqu’en début d’après-midi.

                                                                 Normalement, la fin, c’est pour la prochaine fois…

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