Les tempes appuyées aux vitres zébrées de pluie, des visages somnolent, les yeux mi-clos tournés vers les lueurs fugaces de la banlieue qui défile, irradiant par éclairs blancs ces peaux teintées de rêve et ternies de fatigue qui puisent leurs racines dans la lumière dorée de l’Afrique, l’espace ouvert des déserts, ou les rues éclatantes des casbahs.
Ils sont venus là, dans leur humanité morcelée, se fondre aux ombres crues de l’éclairage au néon, dans l’espace confiné de ce train balloté de tangages, cerné de grincements : improbable mixage de cultures et d’histoires où le noir prédomine.
Et peu à peu avance, et peu à peu s’éclaircit la dominante brune ; prenant d’assaut les clichés et les dernières places, voilà Versailles qui s’engouffre, en costume cravaté, en tailleurs sages et chiffons ramassés, en manteaux bien coupés et brushings au carré.
Et toujours avance.
Avance, et puis s’arrête. De plus en plus souvent.
Repart et puis avance.
Et toujours s’engouffre la marée indistincte des banlieusards prospères. C’est Paris en approche, et l’Afrique se noie ; des rêves se secouent cependant qu’au dehors un filet de jour sale commence à peine à poindre.
La Capitale, bientôt, les ingurgitera tous. Indifférente et vorace, elle en digèrera l’énergie sans distinction de classes.
Repue, les vomira ce soir … par ordre de couleur, des peaux les plus blanches aux teintes les plus sombres.
Et demain recommencer.
Écrit il y a quelques années dans un train de banlieue parisienne.
Il faisait froid ce jour-là.
C’était avant les masques et le télétravail pour les cols blancs.
Plaisir de relire ce texte, lu sur le wizzz il y a quelques années. Très bien écrit en effet, et qui me fait revivre de nombreux trajets sur cette même ligne, à toute heure du jour et des derniers trains la nuit, lorsque j’étais étudiante et plus tard, en vacances sur Viroflay-Paris.
Beaucoup de sensations et d’émotions diverses selon les moments, les époques. Je me retrouve bien dans tes mots.
Si bien vu et bien écrit ! Et même si tu ne cherches pas à faire de la poésie, Gibbon a raison quand il dit que ce récit en est pétri. C’est quand même bien ta « faute », hein 😉
Vraiment bien écrit et tu te doutes que ça me touche particulièrement. Et d’actualité quoiqu’il en soit.
« À l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat ! » chantait Ferré,… T’es en plein dedans ! J’en ai pris plein la tronche tellement c’est beau et vrai .
Tu as sorti de la glaise du quotidien un superbe diamant…Noir .
Merci pour ce commentaire fort élogieux ! Malheureusement, poète je ne suis (ni ne cherche à être…) 😊
Et pourtant, j’ai relevé quelques alexandrins de la meilleure tenue.
Oui, mais les alexandrins, c’est pas pareil : c’est de la musique !
Cachounette, tu m’as filé le bourdon. Si c’est pour te venger de mon traitement de choc, ben t’as gagné !
Voilà un superbe petit texte, avec une atmosphère à la Simenon. Sauf que là, c’est pas du roman.
Simenon… Un immense écrivain trop méconnu, qui peint les ambiances de quelques mots qui font mouche. Un tel maître serait un honneur !
Une triste réalité … qui avance, avance, avance !
En marche ?!!….
En marche arrière alors !