Chapitre Neuf

Un compte rendu

Qu’est-ce que Lucien, le patron de Lesage a bien pu apprendre à la Bourse ?

En réalité, pas grand-chose. Calista est un monde de si petite taille qu’il n’a attisé l’intérêt ni des instances chargées du peuplement, ni des volontaires. En termes de ressources, les explorations préliminaires n’ont pas révélé la présence de minerais ou de gaz en quantités significatives. En revanche, on a relevé des sautes d’humeur de l’atmosphère mais, en l’absence de projet d’investissement, on n’a pas cherché à démêler la complexité des phénomènes à l’œuvre ; ce climat instable a conduit à prédire une qualité de vie probablement dégradée. Dans le domaine du vivant, les végétaux sont en variété et diversité comparables à ceux que l’on trouve sur Geià. En résumé, Calista est un monde médiocre.

Calista avait donc le profil requis pour y expédier la part de population médiocre de Geià en demande de départ. On a réalisé un double coup gagnant : peupler un nouveau monde et se débarrasser d’une engeance indésirable. En quoi les colons s’avéraient être indésirables, c’est la question que Lucien était venu chercher à la Bourse. Si Khaled et Youri se trouvaient maintenant sur Calista, quelles obscures raisons les y avaient conduits ?

Là encore, la moisson de Lucien est assez maigre. S’il a pu repérer rapidement les deux individus dans la liste des 77 colons grâce à leurs prénoms atypiques, il n’a pas pu pousser très loin son investigation. Le temps imparti par son collègue et sa surveillance soucieuse n’étaient pas propices à une lecture détaillée des fiches individuelles. La lecture en diagonale lui a quand même appris que l’un et l’autre avaient eu un parcours plutôt erratique sur Geià. Certaines cités où ils ont séjourné, des emplois qu’ils ont tenus se retrouvent chez l’un et chez l’autre. Mais sans une étude comparative de chronologie, impossible de savoir s’ils se connaissent. On peut juste supposer qu’ils se sont croisés, et peut-être plusieurs fois.

Cette instabilité dans la vie sociale est un motif largement suffisant pour être écarté d’un programme de colonisation ambitieux sur un monde non médiocre.

 

Lc – En conclusion, je n’en sais pas assez. Ni sur la situation sociale, ni sur les intentions de nos deux sbires. En fait, on ne sait rien. Et puisqu’on ne sait rien, on n’a rien à dire. A personne. Est-ce que je suis clair ?

Nous avons pris place, Lefrère et moi, sur deux chaises qu’il a disposées face à lui. Pas de fauteuil pour nous, il n’était pas question de l’écouter confortables et décontractés. Une de ces petites mises en scène qu’il affectionne.

LS – Pour moi, vous êtes clair.
LF – Pour moi aussi.
Lc – Mais il faut qu’on en sache plus. Je ne peux pas me contenter de savoir sans rien savoir. De ne rien dire alors que l’aveu brûle mes lèvres comme le magma la gueule du volcan.

Une pause, le regard habité par son envolée lyrique, puis :

Lc – Lesage, vous partez sur Calista.
LS – Quoi ! Comment ça ?
Lc – J’ai tout prévu. Vous irez vous rendre compte sur place de ce qui se passe ou se trame là-bas. J’ai obtenu un vaisseau terrestre qui fera l’affaire. Je vous ai même réservé une muje.
LS – Mais voyons, il y a sûrement un autre moyen plus…
Lc – Il n’y a pas d’autre moyen plus ou moins ! Vous avez l’un et l’autre laissé s’installer une problématique dont la seule solution est la fuite en avant. Vous irez sur Calista assumer votre hypocrisie ! Quant à vous Lefrère, vous êtes exclu de la mission et nous allons travailler ensemble. J’espère que cela vous convient.
LF – C’est-à-dire que…
Lc – Je n’attendais pas de réponse.
LS – Mais je ne peux pas faire ça tout seul. Sans Lefrère, sans les autres, je ne…
Lc – Je vous dis que vous aurez une muje. J’ai demandé à Lîle de la conditionner.
LS – Lîle est au courant du projet ?
Lc – Bien entendu. Elle a toute ma confiance, elle.

Lîle. Le moment où tout m’arrive est celui où je dois partir ! Est-ce que je mérite une double peine ?

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