« Voici peut-être le dernier jour de ma vie. J’ai salué le soleil en levant la main droite,

Mais je ne l’ai pas salué en lui disant adieu,

Non, plutôt en faisant signe que j’étais heureux de le voir : c’est tout. »  F.P.

Le lendemain, je me réveillai tôt. Après un petit déj vite fait et une bonne douche, comme je m’y attendais mon téléphone résonna… Un message laconique : « Sous sol du disquaire Louie Louie : 3, Escadinhas do Santo Espírito da Pedreira, Chiado. » Je me mis en route sans traîner.

Pour le plaisir j’empruntai l’élévator de Santa Justa en passant par le largo do Carmo. Puis j’ai tâtonné un peu avant de m’orienter correctement. Heureusement, j’avais pris soin de scanner la partie de plan du quartier qui m’intéressait… Pas facile à trouver cette ruelle entourée au dessus par des boutiques de luxe et coincée en contrebas d’un escalier…

Je suppose que j’étais attendu car, à peine fus-je entré et malgré mon masque sur le nez, un jeune homme est venu à ma rencontre m’accueillant avec amabilité : «  C’est vous, le français … J’ai été prévenu. Asseyez-vous, je vous prie, juste quelques minutes, le temps de terminer avec un client. » Hormis un léger accent il s’exprimait dans ma langue avec facilité.

Je pris place dans un grand fauteuil rouge (qui servait à l’écoute des disques de manière confortable.) Pour me faire patienter, il mit sur une platine un vinyle de Mariza… Je n’avais que très rarement écouté du Fado et je fus tout de suite séduit, que dis-je, happé par cette voix chaude, cette musique mélancolique et enveloppante accompagnée par la sonorité très particulière de la guitare portugaise…

Quelques minutes plus tard, lorsque le client eut quitté la boutique, sans un mot, le jeune vendeur me fit signe de le suivre. Au fond de la salle, un escalier de métal en colimaçon étroit et branlant nous conduisit dans un couloir sombre et humide. Et au bout de ce couloir une porte de bois vermoulu s’ouvrit sur une sorte de débarras, faiblement éclairée par une ampoule débile autour de laquelle quelques insectes réveillés se mirent à tourner en rond. « C’est là ! » me dit-il sans plus d’explication. (je suppose qu’il avait dû être payé pour de pas demander d’explications sur ce que j’étais sensé faire en ce lieu…). Il ajouta avant de sortir : « C’est l’ancien propriétaire qui entassait ses collections ici… On m’a dit que vous étiez un passionné de livres anciens. Emportez ce que vous voulez, on va bientôt tout mettre au recyclage. Prenez votre temps… » Je bredouillait un merci et, à peine eut-il refermé la porte que je j’enfilai mes gants de soie et me mis à la tâche….

Après des heures à fouiller dans une atmosphère empoussiérée. (Des bouquins dans tous les sens et dans toutes les langues, notamment énormément d’ouvrage en caractères asiatiques … chinois peut-être?) alors, donc, que je m’apprêtais à faire une pose pour aller grignoter dans le quartier, je touchai au but ! En saisissant un carton dont le fond s’effondra sous le poids des livres, Une pile de document ainsi qu’un livre à la couverture orangée attira mon attention.

Je remontai… «Vous n’avez pas trouvé grand chose… » dit le vendeur qui avait l’air amusé sous son masque. Ce à quoi je répétai bêtement « Oui, pas grand chose en effet… » Comme j’avais apprécié le disque qu’il m’avait fait écouter, aussi pour le remercier, j’achetai le disque ainsi qu’une compil de la reine « Amalia ». Le vendeur fourra livre, paperasse et disques dans un grand sac papier, je payai et sans manquer de le remercier pour son accueil, le saluai et sortis …

Je ne traînai pas pour rentrer… Après avoir minutieusement étudié à la loupe et comparé la signature avec des échantillons en ma possession, je fus certain d’avoir réussi.

« À Arthur Augusto, avec l’estime et la haute considération que, dans une étreinte, je lui adresse, Fernando Pessoa ».

Il est temps pour moi de vous révéler pourquoi j’ai été choisi pour ce travail :  je suis, depuis toujours, passionné de calligraphie et il m’arrive à l’occasion d’arrondir mes fins de mois en aidant des artistes talentueux mais qui n’accéderont probablement jamais à la notoriété (généralement des peintres mais aussi de différentes corporations, j’ose l’avouer, que l’on nomme communément : faussaires…). Ces derniers copient, ou inventent, des œuvres d’artistes plus ou moins réputés. Ensuite, par le biais de certains réseaux que je ne connais pas (pour ma sécurité… ! )  ces contrefaçons sont vendues à prix d’or à des crétins de collectionneurs friqués qui n’y voyant que du feu croient avoir fait à chaque fois l’affaire du siècle. Ces « œuvres » dorment généralement dans des coffres jusqu’au jour où ces spéculateurs ont besoin de vendre… Ils se rendent compte alors, deux fois sur trois, après expertise, qu’ils se sont fait duper…

Et mon rôle là dedans me direz-vous ? Vous l’aviez deviné je suppose : je signe ! J’imite la signature des célébrités… Et la dernière fois, ça s’est mal passé. « À cause » du peintre belge «Karel Van Falens» ! Une signature d’apparence très simple pourtant, mais un détail dans le F majuscule m’a trahi…! Cela semblait si facile et pourtant… On se fait toujours avoir lorsque l’on croit que les choses sont simples. Bref, mes « employeurs » étaient comment dire : très colère !

Voilà, j’espère à présent qu’ils effaceront ma dette.

« J’ai tout raté. Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien… Fernando Pessoa.

FIN

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