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Et pour ceux qui ont la flemme de déchiffrer, c’est en bas …
Elle trottine toujours à petits pas pressés, son regard bleu rivé au sol, à quelques mètres devant elle. Elle s’avance sans bruit, perdue dans ses pensées, et donne l’impression étrange qu’elle se déplace à quelques centimètres au-dessus de la terre ferme.
Elle, c’est « Mademoiselle ».
Toute menue, toute petite, avec ses cheveux gris toujours enroulés en chignon sage sur la nuque, ses éternelles jupes droites et ses escarpins noirs, elle me fait toujours irrésistiblement penser à cette poésie de mon enfance :
« Dame Souris trotte, grise dans le gris du soir
Dame Souris trotte, grise dans le noir ».
Peut-être était-ce même elle qui me l’avait apprise …
Car Mademoiselle était mon institutrice au cours préparatoire.
Je vous parle d’un temps, que vous avez sûrement connu, où les filles et les garçons ne fréquentaient évidemment pas les mêmes lieux …
Mademoiselle, donc, dirigeait avec douceur et fermeté une classe de filles à couettes et en socquettes. Sa fonction, c’était de nous apprendre à lire, sa mission fût de nous donner à aimer lire.
J’appris donc à déchiffrer mes premiers mots avec un petit livre scolaire (où il était question d’un jeune Rémi et son chien Tobie), sous sa férule patiente et, visiblement, efficace.
Mais là où Mademoiselle excellait bien plus encore, c’était dans la transmission du joli travail bien fait. Il fallait, je m’en souviens encore, que le l vienne effleurer légèrement le troisième interligne, que le f descende bien droit et sans faillir de ce même troisième interligne au-dessus au troisième en dessous, alors que le p, profondément prétentieux, me donnait du fil à retordre à cause de cette petite boucle qui le précédait et m’obligeait à chaque fois à une concentration suraiguë jusqu’à l’atteinte, sans dévier vers l’oblique honni, de l’objectif final. Le d et le t, des manants, sans doute, n’avaient droit qu’au deuxième interligne. Il ne s’agissait pas de commettre le moindre impair dans cette hiérarchie sacrée. Les lettres nobles ne l’auraient pas supporté. Mademoiselle non plus.
Ma délectation était la lettre k, malheureusement trop peu utilisée à mon goût. Cette petite arabesque finale me ravissait, comme me ravit également le H majuscule lorsque nous en arrivâmes à l’apprivoisement de cette fascinante beauté d’équilibre précaire.
Mademoiselle nous inculqua le plaisir de la belle écriture, du cahier sans tache et de l’ouvrage soigné. A petits pas menus, et toujours silencieuse, elle se glissait de l’une à l’autre, se penchait, attentive, par-dessus les épaules et donnait à faire, pour le soir, des lignes interminables qui correspondaient aux lacunes de chacune.
J’eus donc à recopier beaucoup de p, et fort peu de k.
Chaque soir, environ un quart d’heure avant que la cloche ne sonne, Mademoiselle ouvrait un énorme livre, dont elle lisait un passage que nous écoutions les bras croisés sur nos tables rangées, comme il était d’usage. Elle s’arrêtait toujours à un moment où il allait se passer quelque chose dans l’histoire, et nous abandonnait dans un entre-deux savamment orchestré qui nous laissait en suspend jusqu’au lendemain soir. « Si vous travaillez bien », disait-elle, « vous n’aurez plus besoin de moi : les histoires, vous les lirez vous-mêmes et vous pourrez même les lire jusqu’au bout si vous le souhaitez » …
Depuis bien longtemps, je ne vois plus passer Mademoiselle sous mes fenêtres.
Je ne lui ai jamais dit combien elle avait compté dans ma vie. J’aurais peut-être dû …
Ah oui, tu as raison, le H majuscule, c’est la plus belle lettre de l’alphabet, une parure genre broche indélébile à ma signature… hi hi ! Elle a inventé le suspens des séries ta Mademoiselle ! et ainsi t’a finement refilé le goût de la lecture et de l’écriture. Elle n’est pas allée aussi loin que Jeanne Calment, mais presque ! Elle a eu une grande mission et peut-être une foule incalculable de passionnés comme toi. Superbe témoignage ce manuscrit! Maintenant, elle sait, j’en suis certaine…
Du turquoise pour rhabiller ta demoiselle Lucienne d’une couleur plus vive qu’un gris souris…
Parce qu’elle continue, de vivre. La preuve : on est beaucoup à se souvenir de ce texte, et donc d’elle.
Oh, c’est Mademoiselle ?
Quelle longévité ! Et quelle curieuse coïncidence !
Oui, mes mots sont des banalités, mais je reste sans voix…
Oui, j’apprends donc en même temps qu’elle s’appelait Lucienne … Je préfère me souvenir de « Mademoiselle » !!!
J’aime penser que Mademoiselle attendait un signe, attendait de voir que l’une de ses élèves avait suivi le chemin des mots…
Je viens de tomber sur cet entrefilet dans le journal local …
Tu nous l’as bien racontée, ta Mademoiselle ! Et c’est aussi le portrait touchant de la petite fille appliquée que tu étais sous son regard encourageant. Et du coup, je me souviens moi aussi de Rémi. Chouette !
Jolie écriture, technique + style ♥. Pour moi qui écris comme un cochon, c’est une leçon. A l’école, je n’arrivais même pas à me relire.
Alors tu vas me faire le plaisir de me refaire une ligne de « l » et une ligne de « f » en montant jusqu’à la troisième interligne ; t’aurais dis Mademoiselle, l’air sévère sous son chignon gris! Quant au « k » il a dérapé sur la ligne à ce que je vois! Mais dans l’ensemble j’aime bien ton écriture, (plus moderne certes que celle que nous enseignait les « Mademoiselles ») et surtout ce qu’elle nous raconte.
Ouh ça fait remonter des souvenirs ! Moi qui fus institutrice dans mon jeune temps, je me rappelle encore la « maîtresse » de mon enfance. Oui, les jambages et à l’encre s’il-vous-plaît… Oui, les encriers à remplir sans en verser une seule goutte sur le pupitre… Oui, les buvards roses… et les crayons qui sentaient un peu le tabac… l’ardoise et son éponge qui se devait d’être humide mais pas plus afin d’éviter qu’elle ne moisisse… les craies toutes douces et rondes, celles qui ne crissaient pas sur le tableau… et la colle en petits pots !
Nous étions si sages en ce temps-là ! Et nous, on nous lisait « Bridinette », seulement les samedis ! Le matin sinon, nous avions droit à un extrait de texte choisi pour la leçon de morale dont nous devions copier une ligne sous la date du jour.
Merci pour ces rappels… ambiance…
Et merci pour cette jolie réponse !!
Moi aussi je viens d’adorer lire sur le cahier à l’encre turquoise.
En revanche, je me souviens peu des lignes d’écriture, je crois avoir aimé ça mais j’en ai peu de souvenirs.
Et au fait, j’ai retrouvé le chien Tobie qui s’était cassé la patte…. 😉
Tu as retrouvé Tobie ?! Pour de vrai ? …. La chance !!!! 😉
Je me rappelle ce texte, quel plaisir de retrouver ce portrait manuscrit ! Je l’aime toujours autant cette mademoiselle si discrète qui t’a donné le goût de la lecture.
Je préfère aussi la lecture de ta jolie écriture. Merci Mademoiselle la Souris Grise ! (moi, c’était le p que je préférais, à cause de la queue de cheval qui se terminait comme une ruade)
Je l’ai lu dans le cahier, c’est tellement plus savoureux !
Un bien bel hommage à une si petite personne, mais si grande par son talent et son « œuvre » ! Et le regard que tu lui portes.
Quelle mission importante, primordiale, elle a eue !
Et c’est vrai qu’à quelques 6 ou 7 ans, on ne pense pas à remercier nos maitres(ses) d’école, comme on les appelait alors…