La nuit est déjà bien avancée. Il est 3 h 30 passé, et mon ordinateur est en train de virer au rouge. Je m’acharne à attribuer un emplacement, dans l’interface de mon site d’arts plastiques, à des images qui ne sont pas de cet avis, et s’empressent de prendre la place de l’en-tête, ou, plus fun, de disparaître. Juste pour me faire chier, quoi. Quand la manœuvre n’efface pas, purement et simplement la page entière, réduisant à néant mon travail des vingt dernières minutes. Il fait un temps épouvantable, dehors, et dans ma prostration naissante, des bouffées d’Edgar Poe viennent envelopper doucereusement mes neurones avachis…

« … J’entendis bientôt un coup un peu plus fort que le premier. « Sûrement, — dis-je, — sûrement, il y a quelque chose aux jalousies de ma fenêtre ; voyons donc ce que c’est, et explorons ce mystère. Laissons mon cœur se calmer un instant, et explorons ce mystère ; — c’est le vent, et rien de plus. »

Toc-toc-toc ? Ma nuque se hérisse doucement. On frappe à ma fenêtre, située à 310 mètres au-dessus du niveau de la mer, et à presque quatre du sol. A part Spiderman, ou le GIGN qui débarque, je ne vois pas ce qui…

Un oiseau. Un petit oiseau frappe à la vitre avec son bec. Il saute, et il cogne. Toc-toc. Indécis, je le laisse faire pendant deux ou trois minutes, pour être bien sûr qu’il veut vraiment entrer, puis j’ouvre grand. Un froufroutement, il a franchi l’ouverture en vitesse, et est allé se poser à l’autre bout de la pièce.

Il a l’air affolé. Je le prends dans mes mains, pour vérifier qu’il n’est pas blessé, mais à part quelques rémiges en désordre, tout a l’air OK. C’est un pinson mâle, pour autant que mes vagues notions d’ornithologie me permettent d’en juger. Peut-être vient-il d’échapper à l’attaque fulgurante d’un matou sur le sentier de la chasse.

Hey, je viens d’une noble nichée de pinsons ! Et si tu ne me lâches pas, tu vas connaître la pincée de nichons !

Je le repose doucement en face de la fenêtre béante. Check list effectuée, tu peux aller faire ton point fixe, et reprendre ton vol, l’ami.

Mais il ne l’entend pas de cette oreille, si oreille il y a. Il entreprend un petit tour du propriétaire, et part comiquement explorer son nouvel environnement.

 

Ça c’est du moelleux. Pas de la plume, mais ça le fait. Tu t’emmerdes pas.

 

Woh, woh, woh… Je te vois venir. Reste où tu es : pas au premier rencard, hein.

 

Ah ouais, ouais… Pas mal la gratte. Epiphone 12 cordes…

 

Il a fallu que t’en enlèves six … Soit tu sais pas jouer en picking avec 12, soit t’es une bonne feignasse. Soit les deux.

Et je dis ça et je ne dis rien, mais le canapé bleu avec les couleurs chaudes autour… Tu parles d’un artiste ! Je voudrais pas de toi pour décorer mon nid.

 

Le dessus des armoires, c’est pas fait pour cacher la merde au chat, hein. N’importe qui peut voleter à deux mètres de haut et voir tout ton fourbi.

 

C’est quoi, ce truc-là, en-dessous? Tu laisses vraiment entrer n’importe qui…

 

Regardez-moi ce bordel : on se croirait chez Emmaüs. C’est pas parce que tu viens d’emménager qu’il faut pas ranger un minimum. Et ce clavier, c’est un IBM 98. Fous-moi ça à la benne, merde.

Je le suis en prenant quelques photos. L’appareil est une vraie catastrophe, mais tant pis, je ne veux pas louper ça.

 

T’as vraiment regardé toutes ces daubes ?!? A part « Happy feet » qu’est pas trop mal…  Tu ferais mieux de faire un vide-grenier avec le reste.

 

Par contre, en bouquins, pardon : t’es outillé. Miam. Des vieux « Galaxie » qui datent de Ben-Hur.

Dieu sait ce que le char donnerait (humour volatile, tu peux pas comprendre, l’humain).

 

Quand je n’étais qu’un béjaune, j’ai fait un peu d’acting, tuwois ? Et j’étais très demandé, une vraie terreur.

Regarde-moi : ta belette hirsute, là, elle peut aller remettre le peignoir. 

 

Tigrou, c’est Tigrou !!! Ben mince alors ! Fais-moi une photo avec lui.

La gueule des potes ! Le cul va leur en peler !

 

Ça t’arrive, de faire la vaisselle ? Un vrai crado !! Ça va trempouiller encore combien de temps, ces gamelles ? Et tout ça, là : c’est sec depuis huit jours, ça va pas sauter tout seul dans le placard.

 

Allons poser nos pattes nues ailleurs. J’ai pas envie d’attraper des ça-file aux moules. Ou aux coques. Des ça-file aux coques. Tu m’as compris, fais pas le malin.

 

T’as encore des VHS, toi ? Tu dois être du genre à porter tes pantalons avec des bretelles et une ceinture. Et à assurer avec des punaises les jours de grand vent.

 

Il y a plus de 500 dvd dans ce cloaque, et en voilà enfin un qui parle des animaux. Alléluia.

 

La visite terminée, il semble se fixer sur la grande étagère de la cuisine, et se préparer pour la nuit. Il est 5 h 30, et je vais en faire autant. Je lui concocte un petit en-cas avec des céréales, des miettes de biscuit et du lait, mais il l’ignore superbement. Ce n’est peut-être pas le menu idéal pour un pinson, mais je ne suis pas nutritionniste pour piafs, moi. Pour éviter qu’il parte comme une fusée au petit jour, et s’éclate contre la vitre, je punaise un paréo sur le montant de la fenêtre. Mais il va devenir évident que c’est faire insulte à son intelligence.

En laissant les lampes allumées pour lui, je vais me glisser avec délices entre les draps.

 

Ça m’a l’air cosy, ici. Ça me botte. Je vais piquer un roupillon. Lumière, s’il te plaît.

Cuic. (fort)

CUIC ? (fortissimo)

QUOI ENCORE ? Je me relève, éteins la lumière dans la cuisine, et il met le bec dans ses plumes pour roupiller. Ben y avait qu’à demander, hein.

On a dormi tous les deux jusque tard dans la matinée, et vers onze heures, il s’est glissé derrière le paréo. Puis a demandé à sortir en employant la bonne vieille méthode : un saut, toc-toc-toc. Etc.

 

J’ai failli pas trouver la sortie, avec tes pendeloques, là…

 

J’ai retiré les trois punaises qui fixaient le tissu, et avec des mouvements très lents pour ne pas l’effrayer, j’ai ouvert la haute fenêtre. Mais il n’avait pas peur, et semblait s’impatienter. L’impudence de cette boule de plumes est absolument stupéfiante.

 

C’est compliqué, chez toi : y a toujours quelque chose à ouvrir ou à fermer. C’est bon, je la ferme, mais ouvre !

 

Alors, ça vient ? Ce qu’il est lent, l’animal !

 

Ah : on dirait que ça bouge…

 

Allez, je me casse ! On est mal assis, chez toi, mais j’ai apprécié l’accueil !

 

Il m’a regardé une dernière fois, et tandis qu’il s’élançait, mon cœur s’est serré. Il me manquait déjà. Bon vent, mon pépère, j’espère qu’on se reverra…

 

« L’oiseau dit alors : « jamais plus ! »

 

 

error: Contenu protégé
38
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x