Si vous avez manqué le début, c’est ici : épisode 1 

Et la suite est là : épisode 2

il lui fallait bien se rendre à l’évidence : il ne pouvait plus se sentir … 

– 3 –

 

Notre ami était un être rationnel. Après avoir été vérifier qu’il n’était pas brutalement devenu diabétique ou que sais-je encore, il s’arrangea donc de sa nouvelle identité olfactive, à défaut de pouvoir la combattre.

Ce fût assez pénible au début, il faut bien l’avouer, et il fût plus d’une fois auto-incommodé par ses propres effluves alors même qu’il mettait toute sa volonté à les apprivoiser.

Il changea de marque de parfum, relu le livre de Süskind et s’appliqua avec beaucoup d’assiduité à oublier le désagrément permanent de ne pas pouvoir se sentir.

 

Et il faut reconnaître que ça commençait à fonctionner. JFK ressentait à nouveau les bienfaits de l’insouciance.
Mais un beau matin, alors qu’il promenait sa bonne humeur retrouvée pour se rendre au travail, il vit soudain son ombre, projetée devant lui par le soleil levant, lever brutalement le bras, avant de le laisser retomber tout aussi brutalement.

De surprise il s’immobilisa. Evidemment, son ombre fit de même, et pendant un instant plus personne ne bougea.

 

JFK, qui n’avait pas l’intention de s’en laisser compter aussi facilement, se retourna et vit derrière lui le chantier du tout nouvel immeuble en construction, orné d’une magnifique grue qui le toisait, arrogante et superbe dans le bleu du ciel. Que c’est beau, une grue ! se dit JKF, toujours prompt à s’émerveiller.

Et il reprit sa marche.

Le soir, il lança un clin d’œil complice à la grue, mais entre nous soit dit, il aurait mieux de regarder derrière lui : cette fois-ci, sur les dessins de sa silhouette, deux bras étaient levés, et semblaient s’amuser follement, se contorsionnant dans les rayons du soleil couchant. Mais JFK, l’heureux homme, ne le vit pas.

Pour tout dire, cet homme-là, vivait le nez en l’air … Toujours à regarder l’oiseau, le bourgeon, le nuage, le reflet, toujours à contempler les petites beautés du monde au-delà des toits de la ville.

C’est donc en suivant le regard hébété d’un passant qu’il comprit, plusieurs jours après, son infortune : l’ombre de sa jambe, laquelle était pourtant rivée à l’asphalte par un solide 44 et demi, était levée perpendiculairement à son corps, dans un magnifique mouvement qu’il aurait été, il faut bien le reconnaître, tout à fait incapable de réaliser dans la réalité …

Il s’aperçut alors avec stupéfaction (et consternation) que, dès qu’il avait le malheur de passer dans un espace ensoleillé, l’ombre de son corps prenait son indépendance. Jambes, bras, torse et tête, tout s’agitait, se désarticulait, se déhanchait, se mouvait en arabesques et circonvolutions grotesques et, bien sûr, incontrôlables …

Il courut jusqu’à chez lui, s’enferma à double tour, terrorisé tant par ce phénomène étrange que par les conséquences qu’il aurait sur le cours tranquille de son existence …

 

De ce jour-là, JFK vécut à l’ombre, rasant les immeubles  pour aller au travail et ne sortant furtivement que le soir venu.

Il bénissait les jours de pluie, les ciels couverts, il se prit à détester l’arrogante vitalité du printemps, son ardeur et ses flamboyances saugrenues, il espérait l’hiver et ses longues nuits qui viennent mordre les matins et avalent les fins d’après-midis.

 

A vivre sans soleil, il se voyait s’étioler, se ternir, et sa vie toute entière perdre sa saveur :
il n’était plus que l’ombre de lui-même …

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