Texte et dessins de Claire de Rancourt

AVANT PROPOS

Une grand-mère, ça ne fait de mystère pour personne ici : tous ses enfants savent qu’elle a du temps, du temps pour ses petits-enfants bien sûr ! Alors, ils les lui confient quand ils vont travailler, ou faire les courses, ou … je ne sais pas moi ! On vit dans un monde où tout va si vite, on a si peu de temps !
Claire n’échappe pas à la règle. Elle en a déjà vu passer quelques-uns chez elle, ils ont grandi, certains sont même totalement autonomes, et elle s’en réjouit. Mais les derniers ? Car ils n’ont pas tous encore fini de grandir …
Parmi eux il faut compter Gaspard, 7 ans.
Gaspard, je ne vous apprends rien, c’est aussi le nom de l’un de ces trois Rois Mages « partis de bon matin dessus le grand chemin » en suivant leur étoile.
Les Saintes Ecritures ne sont pas très bavardes sur ce sujet qui tient pourtant une place de choix dans la tradition orale.
Alors Claire a plongé son nez dans les vieux grimoires, et elle raconte, dessine, et pourquoi pas, écrit cette belle histoire non sans y ajouter quelques fioritures apocryphes, mais pas que…

Mékilef

La merveilleuse histoire du roi Gaspard

Il y a des siècles et des siècles vivait un petit prince appelé Gaspard. Le roi Kadalan, son père, régnait sur un grand royaume allant de la côte de Malabar au cap de Commorin dans cet immense pays qui s’appelle aujourd’hui l’Inde.

Le roi Kadalan était un roi très instruit qui, quand l’administration de son royaume le lui permettait, aimait à se promener avec son fils et lui enseigner tout ce qu’il savait. Il lui parlait de l’histoire de son pays, de ses ancêtres de la dynastie des Pandya, il lui apprenait la botanique, il recherchait avec lui dans la montagne des Ghats des fossiles ou bien des morceaux de poterie des temps anciens. Gaspard qui était un petit garçon curieux écoutait avec intérêt toutes les histoires de son papa.

Un jour celui-ci avait même sorti de sa poche des pièces en argent venant d’un lointain pays que l’on appelait l’empire romain. Un visage était gravé sur ces pièces avec un nom très bizarre … « Auguste ». Jamais Gaspard n’avait entendu un pareil nom. Son père lui avait alors expliqué que des caravanes transportaient toutes sortes de denrées vers des pays qui se trouvaient à l’ouest. Des marchands partaient ainsi vers le soleil couchant avec des chargements de poivre, de cardamone, de gingembre, de bois d’ébène, de myrrhe, de perles et même de pierres précieuses.

Il y avait d’ailleurs des commerçants installés sur le port de Vanchi qui venaient de ces lointaines contrées. On disait qu’ils s’appelaient les « Juifs » et qu’ils avaient fui leur pays deux cent ans plus tôt lorsqu’une armée ennemie avait emmené une partie de leur peuple en captivité à Babylone.

Parfois le roi Kadalan l’emmenait aussi rendre visite à un vieil homme qui vivait tout en haut d’une tour.

Cet homme qu’on appelait le sage Adigal, avait la particularité de dormir le jour et de passer ses nuits à observer le ciel. Gaspard adorait rendre visite à ce vieux mage. Il avait même obtenu la permission de s’y rendre tous les mercredis quand il n’avait pas école. Ce jour-là, Adigal faisait juste une petite sieste et il consacrait le reste de son temps à expliquer au prince Gaspard l’agencement des astres dans le ciel.

Parfois même il lui lisait des poèmes de l’épopée Râmâyana et le petit garçon était subjugué par les aventures du prince Rama et de sa malheureuse épouse Sita.

Les années s’écoulèrent ainsi heureuses. Le prince Gaspard devint un beau jeune homme cultivé, curieux de tout, très aimé de son peuple et lorsqu’il partait à la chasse au tigre à dos d’éléphant toutes les jeunes filles du royaume n’avaient d’yeux que pour lui.

Un soir qu’il était tranquillement en train de regarder le ciel avec le mage Adigal sur le haut de sa tour, une étoile se mit à clignoter comme si elle faisait un clin d’œil à Gaspard.

« Adigal, comment s’appelle cette drôle d’étoile ? » dit-il

« Je n’en sais fichtrement rien, répondit Adigal, elle brille plus que les autres et je ne l’avais jamais vue »

Très intrigués les deux hommes passèrent des nuits entières à surveiller l’étoile qui grossissait de jour en jour et brillait de plus en plus.

« Nom d’une pipe, s’écria au bout d’un mois Gaspard, je crois bien qu’elle me fait signe et qu’elle veut que je la suive … Qu’en penses-tu Adigal ? »

Adigal, réfléchissait. Cette étoile était vraiment mystérieuse. Il lisait et relisait ses vieux grimoires dans l’espoir de trouver un indice. Et puis un jour, euréka,  un vieux texte en sanscrit lui donna la réponse.

 

Le Roi des rois allait naître. Un roi totalement différent des autres rois. Il fallait impérativement aller lui rendre hommage, en suivant l’étoile, là-bas, là-bas vers le soleil couchant au pays de ces juifs d’Israël.

Le prince Gaspard qui avait bien envie de connaître le vaste monde alla, de ce pas, voir son père le roi Kadalan pour lui expliquer l’affaire. Après s’être fait prier le roi accepta de voir partir son fils. Il avait le cœur gros car c’était un voyage très long et qui pouvait durer plusieurs années. Il fallut alors préparer l’expédition. La reine Shama pleurait toutes les larmes de son corps. Elle faisait plein de recommandations à son fils :

« N’oublie pas de mettre ton turban quand le vent soufflera, mange correctement, ne te couche pas trop tard etc … etc … » enfin toutes les recommandations que peut faire une maman à son enfant.

Cela agaçait un peu Gaspard, mais il aimait tellement sa maman qu’il ne supportait pas de la voir pleurer et lui promettait tout ce qu’elle voulait !

 

Le grand jour était enfin arrivé. Bien sûr le prince Gaspard ne partait pas tout seul. Il emmenait avec lui de nombreux serviteurs, des éléphants, un tigre en cage, des perroquets de toutes les couleurs et un petit singe apprivoisé qui le suivait partout et qu’il avait prénommé Shaitaan, ce qui veut dire « malicieux» en hindi.

Au moment de partir le roi Kadalan prit son fils à part et tout en lui faisant ses dernières recommandations lui remit un coffret finement ciselé dans lequel il avait mis de l’encens.

« Mon fils, lorsque tu rencontreras le Roi des rois, offres-lui cet encens symbole de la prière et de la divinité. Adigal m’a dit qu’il aurait des pouvoirs particuliers et que de grandes foules le suivraient partout ».

Le soir venu, alors que l’étoile brillait de mille feux dans le ciel, le prince Gaspard, après avoir salué respectueusement son père, prit sa mère dans ses bras, l’embrassa et lui promit de revenir bientôt. Ses serviteurs posèrent alors une échelle dorée sur le flanc de Hathi, son éléphant préféré. Il grimpa sur la nacelle recouverte de riches brocards et, accompagné de sa nombreuse suite, Shaitaan perché sur son épaule, il prit la route du Nord en suivant l’étoile. Pour l’occasion la reine Shama avait confectionné au petit singe un joli costume en soie rouge et or identique à la tenue du prince Gaspard.

Le voyage dura des années. Chaque soir l’étoile brillait dans le ciel donnant la direction à suivre. C’est ainsi que Gaspard traversa la vallée de l’Indus, puis l’empire de Kouchan et l’immense pays des Perses. Alors qu’il s’apprêtait à traverser la Mésopotamie il vit une importante caravane qui venait de l’Est.

Bientôt les deux caravanes se rejoignirent. Un homme de haute taille, habillé à la mode persane, chevauchait un magnifique étalon noir. Cela devait être un personnage important. Il avait une longue barbe blanche, des vêtements faits de tissus précieux et sur sa culotte bouffante un grand manteau bordé de fourrure.

Le prince Gaspard le saluant très respectueusement lui dit :

« D’où viens-tu, noble étranger, où vas-tu ? Quel est ton nom ? »

Le vieillard se tournant avec bienveillance vers le jeune prince répondit :

« Salut à toi, jeune seigneur, je m’appelle Melchior, je viens de Persepolis et je suis depuis des jours et des jours une étoile pour aller honorer le Roi des rois ».

Le prince Gaspard n’en revenait pas … ainsi ce fier vieillard suivait la même étoile que lui. Les deux hommes décidèrent donc de continuer ensemble le chemin. Le soir ils s’asseyaient autour d’un feu, regardaient les étoiles, parlaient de leurs pays respectifs, de leurs coutumes, de leurs croyances et bien sûr de cet enfant qui allait naître. C’était merveilleux. Le prince Gaspard apprenait plein de choses nouvelles comme lorsqu’il était en compagnie du mage Adigal. Un soir, Melchior lui confia même qu’il offrirait au Roi des rois une cassette remplie de pièces d’or en reconnaissance de sa royauté.

Un jour, cheminant côte à côte, l’un sur son étalon noir, l’autre sur son éléphant gris ils virent à l’horizon un grand nuage de poussière. Peu à peu ils distinguèrent une troupe de cavaliers. Ceux-ci s’arrêtèrent à leur niveau et un tout jeune homme qui semblait être leur chef les interpella courtoisement en disant :

« Je m’appelle Artaban, je suis le fils du roi de Mongolie et je cours après une étoile qui brille toutes les nuits en direction du soleil couchant. »

Le prince Gaspard et le seigneur Melchior étaient vraiment abasourdis. Ainsi aux confins de la terre leur étoile brillait aussi pour un autre prince. Ils proposèrent donc à Artaban de se joindre à eux puisqu’ils suivaient tous le même chemin. Ce dernier, qui était un très jeune homme, les remercia chaleureusement, fit un bout de chemin avec eux et puis un jour disparut en allant à la chasse. Ils ne le revirent jamais.

La légende dit qu’Artaban s’était perdu dans les montagnes et que l’étoile avait continué son chemin sans lui. Alors il avait erré pendant des années donnant aux pauvres les perles de nacre et les rubis qu’il devait offrir au Roi des rois. Certains disent même qu’il avait rencontré une très jolie princesse et que celle-ci, voulant le garder près d’elle, lui bandait les yeux la nuit pour qu’il ne regarde plus les étoiles. Mais quelle est la vérité ? Nul ne le sait. Il est certain que Melchior et Gaspard regrettèrent la compagnie d’Artaban qui les amusait beaucoup tant il était geai, impétueux, sympathique et qu’il faisait mille fantaisies en jouant avec le petit singe Shaitaan.

Les semaines passèrent et, alors qu’ils arrivaient près de la Palestine, ils croisèrent une autre caravane. Gaspard fut étonné de voir que ce n’était ni des éléphants ni des chevaux qui portaient les chargements mais de drôles de bêtes avec une bosse au milieu du dos. Elles avançaient lentement en se balançant.

« Qu’est-ce donc que ces animaux » dit-il à Melchior.

« Ce sont des dromadaires, ils viennent certainement d’Arabie. Ils ont la particularité de pouvoir marcher sans boire plusieurs semaines et sans manger plusieurs mois. C’est pour cela qu’on les élève dans les déserts, là où il n’y a pas de rivières ni de sources mais seulement des oasis avec des points d’eau appelés gueltas. »

La caravane se rapprochait lentement précédée par un dromadaire blanc de haute taille qu’un homme richement vêtu dirigeait. Il était assez jeune, avait une peau foncée et une courte barbe frisée.

« Je m’appelle Balthazar, je suis roi d’un pays de dunes, de sable et d’oasis. Je chemine depuis des jours et des jours en suivant une étoile qui brille chaque soir dans le ciel et m’indique le lieu où doit naître un très grand roi, fils de Dieu. Ma mission est de lui offrir de la myrrhe pour rappeler que s’il est fils de Dieu il est aussi humain », dit-il en les saluant.

Une nouvelle fois Gaspard et Melchior furent époustouflés d’entendre parler de cette étoile qui les avait fait se rencontrer. Ils proposèrent à Balthazar de se joindre à eux en espérant qu’il n’irait pas se perdre dans la montagne comme Artaban.

Balthazar était souvent silencieux, mais à chaque halte, il offrait à ses compagnons un breuvage bouillant en leur disant que boire du thé vert était une coutume de son pays. Ses serviteurs aussi silencieux que leur maître, portaient autour de leur tête des chechs qui cachaient même leur bouche.

« C’est pour nous protéger du vent des sables » expliqua Balthazar.

Cela rendait ces hommes un peu mystérieux. On ne voyait que leurs yeux qui brillaient comme deux escarbilles lorsque, à la nuit tombée, ils s’asseyaient autour du feu, emmitouflés dans de longs manteaux de laine en poil de chameau.

C’est ainsi que Gaspard, Melchior et Balthazar arrivèrent en Palestine. Mais un évènement imprévu allait bouleverser leur voyage … l’étoile disparut et ils ne savaient plus où aller. Ils décidèrent alors de rendre visite au roi Hérode qui gouvernait le pays. Le roi Hérode avait entendu parler de ces trois grands seigneurs qui traversaient ses terres. Il était très curieux de connaitre leurs intentions. Il les reçut donc avec courtoisie. Gaspard, Melchior et Balthazar expliquèrent qu’ils étaient à la recherche du nouveau roi des juifs qui venait de naître. Hérode fut très inquiet, il avait bien entendu dire que le Messie allait naître et qu’il serait un grand roi. Aussi prit-il peur, allait-il perdre son trône ?

Il n’en dit rien aux rois mages, mais leur conseilla de chercher du côté de Bethléem en Judée comme le lui avaient suggéré les grands prêtres du temple de Jérusalem.

« Prévenez-moi dès que vous l’aurez trouvé afin que j’aille moi aussi le saluer ».

Mais, Hérode avait de vilaines intentions. Il se dit :

« Dès que je saurai où se trouve cet enfant je le ferai tuer pour qu’il ne me prenne pas mon royaume »

Gaspard, Melchior et Balthazar étaient à cent lieues de se douter des mauvaises pensées d’Hérode. Ils lui promirent donc de le tenir au courant.

A la sortie de Jérusalem, l’étoile réapparut

Les trois rois étaient fous de joie, ils reprirent leur chemin et à Bethléem l’étoile se posa au-dessus d’une étable où se trouvait un enfantelet. Un âne et un bœuf soufflaient sur le bébé pour qu’il ne soit pas transi de froid. Des bergers avec leurs moutons étaient assis tout autour de l’étable. Chacun avait apporté des présents. L’un du fromage, l’autre des ballots de laine, un troisième un panier de légumes.

Marie, une très jeune femme, balançait la mangeoire où reposait l’enfant. Joseph, son mari, se pencha vers les mages et chuchota :

« Nous avons appelé notre fils Jésus »

Les mages comprirent instantanément qu’ils avaient atteint leur but. Bien qu’étant dans une pauvre étable, cet enfant était le Messie.

Alors, Gaspard, Melchior et Balthazar s’agenouillèrent devant lui, lui présentèrent leurs offrandes et l’adorèrent.

Dans la nuit qui suivit, ils firent un songe. Un ange leur dit :

« Partez vite, Hérode vous a menti, il veut tuer l’enfant dès que vous lui aurez indiqué où il se trouve. »

C’est ainsi que Gaspard, Melchior et Balthazar firent leurs bagages et à cinq heures du matin repartirent discrètement dans leurs pays d’origine sans repasser voir le roi Hérode.

Quand le prince Gaspard arriva dans son château aux confins de l’Inde, son père et sa mère étaient devenus très vieux. Ils serrèrent leur fils dans leurs bras et le roi Kadalan lui dit :

« Maintenant tu es digne de me succéder. Avec ta mère, la reine Shama, nous allons nous reposer et nous espérons que tu nous donneras bientôt plein de petits princes et de petites princesses qui égailleront nos vieux jours »

Le prince Gaspard fut couronné, se maria et devint un grand roi. Il n’oublia jamais son voyage à Bethléem et, parfois le soir à la veillée, il regardait le ciel avec nostalgie, cherchant l’étoile qui l’avait guidée. Il racontait alors son long périple à ses enfants. Ceux-ci en firent autant avec leurs enfants et les enfants de leurs enfants. C’est pourquoi, encore de nos jours, en souvenir de cette aventure merveilleuse chaque année le 6 janvier nous fêtons l’Epiphanie qui est la fête des rois mages.

Claire de Rancourt

Vergèze le 6 février 2023

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