Madame Adèle Vesubia, (c’est le nom de la maman d’Archibald) est veuve. Elle frise la cinquantaine. Elle frise également sous son chapeau, mais ceci résulte d’une fréquentation périodique chez son capilliculteur préféré.

Elle se contente, pour assurer l’essentiel, d’une maigre pension versée par l’administration qui employait son défunt époux, et du modeste salaire d’Archibald dont elle prélève tout ou partie selon ses besoins.

Archibald, âgé de 24 ans, a repris le flambeau de son papa, dont le décès prématuré est indubitablement lié à l’action corrosive de la cirrhose sur un foie indûment sollicité par de fréquentes absorption de boissons fermentées que le cher disparu dissimulait un peu partout dans la maison :

Tiens, puisqu’il fait chaud je me soumettrais bien à une salutaire libation ! aimait-il à dire comme pour souligner l’aspect thérapeutique de l’opération…

Pour Archibald, âgé seulement de dix ans lors de la disparition paternelle, l’adulation de papa pour la bouteille avait quelque chose de magique. Loin d’être révoltante elle lui semblait nécessaire, vitale même, car sans sa dive potion, papa était régulièrement acculé dans les cordes par maman :

Georgie… les patins ! … C’est à cette heure là que tu rentres, Georgie ! Georgie arrête de marcher de long en large comme un ours en cage, tu me donne le tournis ! Tu pourrais écouter quand je te parle, Georgie ! Dire que j’ai refusé de bons partis pour tomber sur ça ! Mais qu’ai-je fait au bon Dieu pour mériter un sort pareil ? … Georgie par-ci, Georgie par-là ! Georgie fais pas ci, Georgie fais pas ça !

Dans ces circonstances, c’est dire, les trois-quarts du temps, Papa n’était pas là, Papa était absent… Abîmé dans ses rêves, il s’abîmait le foie. Il tentait bien de se débattre, de se battre parfois, mais il avait si peu foi en lui même… Trois fois, quatre fois par jour, le même acte se jouait sous les yeux d’Archibald… Cela commençait souvent par une dispute… après chaque dispute, Papa buvait un peu pour trouver le courage d’aimer encore Maman, mais un peu chaque fois c’est trop au bout du compte, quand on aime, on ne compte pas…

Lorsqu’enfin, terrassé par la migraine, le flot de fiel se tarissait, que les griefs de Maman s’endormaient, Papa affectait un air dégagé et, adressant un clin d’œil au garçon, il déclarait :

Allons ce n’est pas grave, oublions tout ceci, pour toujours cette fois, pour de bon, mon amour, allez, viens, embrassons nous Adèle

Mais Adèle n’embrassait point, Adèle ne l’entendait pas de cette oreille, ni de l’autre d’ailleurs… Elle n’entendait rien aux choses du cœur, qui sont pour les souillons les traînées, les catins ! Sa vision du monde se réduisait au seul désir de possession : avoir plutôt qu’être. Sa façon d’aimer n’empruntait pas les mêmes chemin que ses compagnons de route. Adèle allait s’enfermer dans sa chambre “pour faire le point”.

Ainsi de remontrance en remontrance, la vie battait son plein et verre après verre, elle s’écoulait… Papa, jour après jour, devenait de plus en plus jaune, comme ces lettres d’amour riches d’une écriture inconnue, oubliées au fond d’un tiroir de la chambre d’Adèle, qu’Archibald avait un jour découvertes par hasard et qui sentaient le miel…

À suivre …

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