Chaque dimanche, Archibald est tenu d’accompagner la grosse dame, veuve maman dans ses déplacements. Au programme, simple messe de dix heures, (la messe des jeunes afin de rester moderne…) suivie d’un profond recueillement sur la tombe de Georgie. Plus tard, un tour au marché pour quérir quelques petits légumes qui seront accommodés le midi, assaisonnés de monologue maternel. Enfin, sur les coups de quinze heures, gentille promenade, bras dessus, bras dessous, pour prouver, s’il en était besoin, aux mauvaises langues, combien l’on est heureux lorsqu’on sait se divertir sainement en famille, sans rien à cacher, ni du reste, à envier…

L’air est bleu et vif. Les arbres sont attentifs. Madame Vesubia et son fils, sont seuls et cheminent sur les allées bien entretenues du parc Municipal :

– Écoute bien Archie… Entends-tu les petits oiseaux ? Mon Dieu comme c’est joli, Tu ne trouves pas que c’est joli ? … et puis ce calme, comme c’est doux, agréable, n’est-ce-pas, Archie ? ….

Archibald se dégage de l’étreinte maternelle. Elle recule, étonnée, fronce les sourcils et s’immobilise, bouche bée. Archibald, exsangue vient d’ôter son écharpe. La marque rouge qu’il porte sous le menton accentue encore sa lividité. Le regard fixe, les lèvres pincées, il fait un pas en arrière, ses bras s’écartent devant lui, ses poing enserrent les extrémités de l’écharpe qu’il tend, sèchement… Madame veuve mère, demeure interdite, pantelante. Sa mâchoire inférieure pend. Brusquement sa tête s’incline sur le côté droit. Incrédule, tétanisée, elle considère son fils sans vraiment le voir. Son chapeau dégringole sans bruit sur le sol. Ils restent ainsi, longtemps, cloués face à face par l’horrible incertitude…

Puis Archibald recouvre sa lucidité. Il libère l’écharpe qui, distendue, se tord comme un serpent aux pieds de sa maîtresse… Il tourne les talons et s’enfuit.

ÉPILOGUE :

: << Madame Vesubia, une visite pour vous ! >>

Une grosse petite bonne femme, claudicante, traînant les pieds, s’en vient, traversant le long couloir carrelé de blanc qui mène au petit salon des visites. Sa tête penche un peu sur le côté, mais ça ne se remarque pas trop. Tout en marchant, elle glisse l’extrémité des doigts de sa main gauche en bordure des fenêtres grillagées pour en essuyer la poussière. Une partie de son visage, comme imprimée de cire, reste figée dans un rictus étrange. Son bras droit, inerte, pend sur sa robe de chambre en laine des Pyrénées.

Au bout du couloir, un vieux jeune homme, au sourire triste, lui tend les bras. Une étole de laine rouge macule ses épaules.

Fin

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