L’écharpe rouge

Il s’appelle Archibald. Il est propre sur lui et ne répond pas à sa mère. Il est mince et maniéré, affligé d’un triste cou d’autruche au grand dam de son écharpe de laine vermeille qui baille dessus mais s’efforce toutefois dignement de le soustraire à la morsure de l’hiver.

Il fait froid, donc ! C’est une des raisons pour laquelle la grosse dame, en manteau beige surmonté d’un col discret de fausse martre, affichant l’air posé d’une femme raisonnable, a beaucoup insisté pour qu’Archibald n’oublie pas son écharpe.Une autre raison serait peut-être que cette éclatante écharpe ait été tricotée spécialement à l’intention d’Archibald, et ce, par la grosse dame qui chemine à ses côtés.La dernière raison sera, sans doute, que la rutilance de l’écharpe qui protège Archibald, s’harmonise à merveille avec l’onctueux bibi vert olive dont est coiffée la grosse dame.       

Archibald donne le bras à la grosse dame dont il semblerait qu’il soit le fils. Cette présomption trouve confirmation lorsqu’on consent à y regarder de plus près. En effet, la grosse dame tourne régulièrement la tête vers Archibald pour lui lancer, semble-t-il, quelques conseils ou remontrances. En retour, Archibald acquiesce, opinant du chef, quoique le reste de son corps respire la dénégation.La grosse dame est la mère d’Archibald. Nous en aurons la certitude en recueillant d’une oreille attentive le dialogue suivant :

– Archie, ne traîne pas les pieds !

– Non, non…

– Remonte un peu ton col Archie !

– Oui, oui…

– Cesse de renifler comme ça tout le temps, c’est agaçant !

– Oui, oui…

– Et puis, c’est bien la peine de se donner tant de mal pour te tricoter une écharpe si tu ne fais aucun effort pour la mettre correctement… tu m’entends ?

– Mais oui, M’man …

C’est un fait établi : la grosse dame est la mère d’Archibald.

Archibald abhorre l’écharpe de laine rouge… La grosse dame, qui est, faut-il le rappeler, la maman d’Archibald, est loin de soupçonner que son fils exècre ladite écharpe. L’idée même que son enfant, son petit, la chair de sa chair, ne puisse arborer fièrement ce présent, né de ses doigts de mère, ne peut l’effleurer. Ce serait indécent !

Il est intéressant de noter que l’écharpe rouge a été tricotée avec des aiguilles numéro neuf. Nous laissons aux spécialistes le soin d’apprécier la section du fil de laine et la finesse du point. En outre, la laine utilisée pour la confection est cent pour cent vierge et la teinture, sans doute à base d’amarante.

Archibald passe souvent une main nerveuse entre son cou et l’écharpe, comme pour masser sa gorge. Il se gratte même, fréquemment. Ce qui donne à penser que la pure laine vierge irrite la peau ou que d’aucuns y sont allergiques. Archibald, manifestement irrité, souffre d’allergie.

La grosse mère, enfin, la dame, maman d’Archibald, a remarqué le curieux manège de son dadais de fils. (Archibald ne paraît grand qu’au regard de la taille de sa mère qui pour sa part, « opule » en largeur.) :

– Voyons Archie, si tu as décidé de nous faire remarquer, dis le !

– Mais non, M’man !

– Mais enfin, qu’a t-elle qui ne va pas cette écharpe, hein, tu peux me le dire ?

– Je …

– Enfin mon chéri, depuis tout petit tu adores cette couleur, rappelle-toi : la voiture des pompiers, les ballons, les poissons, tu n’aimes rien tant que le rouge, aurais-tu changé à ce point ?

– Mais M’man …!

                                                                        à suivre …

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