Chapitre VIII

Un peu d’histoire

Dans la pénombre, l’homme à la stature imposante était assis à même le sol au centre de la hutte. Une dizaine de personnes avaient pris place tout autour, contre les murs. Il fit signe à Bastien de faire asseoir ses protégés face à lui.

— Le vent qui vous a accueilli interroge sur vos intentions. Que venez-vous faire sur Calista ?

L’entrée en matière du chef du village était plutôt abrupte. Elle avait au moins l’avantage d’engager directement le dialogue : on ne perdrait pas de temps en urbanités, ce qui convenait parfaitement à Lesage.

LS — Nous venons de Geià. Une conversation entre 2 hommes ici a été captée. Leurs propos pourraient agacer les autorités de Geià. Notre mission n’a rien d’officiel ; nous venons pour évaluer la situation.
— De quoi parlaient ces hommes ?
LS — Nous ne comprenons pas précisément. Il était question de guerre…
— Ah, la guerre…
LS — Cela vous dit quelque chose ?

Le chef regarda longuement devant lui. Il n’exprimait aucune émotion. Peut-être pensait-il à ce qu’il pouvait dire et ne pas dire ; peut-être se demandait-il s’il devait parler ouvertement avec ces 2 étrangers. Son regard revint sur Lîle puis sur Lesage.

— La guerre… C’est le seul mot que nous avons trouvé pour décrire ce qui se passe ici.
Ll — Je ne comprends pas, dit Lîle. Le village est paisible, les habitants ne sont pas inquiets.
— C’est vrai. Nous sommes au calme ici.
LS — Ce qui n’est pas le cas partout ?
— Non, ce n’est pas le cas partout. Nous, nous sommes entourés par la forêt.
Ll — La traversée de la forêt était très agréable après la plaine Ridée.

Lîle imaginait que l’évocation de ce moment de plaisir, formulée comme un compliment, apporterait de la douceur dans cette sombre ambiance. Une fois de plus, le chef fit une longue pause et son regard s’attarda sur la jeune femme. Lesage et Lîle avaient un peu moins d’appréhension dans cette communauté mais devaient rester prudents. Il fallait se montrer respectueux des usages, s’il y en avait et à défaut de les connaître, il fallait rester déférents. Si le chef arrêtait de parler, on s’arrêtait de parler. Même si on avait une foule de questions à poser. Le chef reprit la parole.

— La plaine Ridée, c’est aussi là que les 77 colons sélectionnés sur Geià ont fait connaissance avec Calista lorsqu’ils ont débarqué. Un vent violent nous a accueillis, comme vous. Certains colons n’ont pas survécu. A cause de l’attaque et de l’atmosphère, les plus fragiles sont morts dans les premières heures. Nous avons alors décidé de nous séparer en plusieurs groupes. Nous devions chercher des sites favorables à notre implantation et nous rassembler tous sur le meilleur. C’était il y a trois cycles environ. Les groupes se sont formés par affinités mais nous ne nous sommes finalement jamais réunis. Il y a cinq communautés, la nôtre s’est installée dans cette clairière. Deux autres groupes ont trouvé aussi une forêt, où ils peuvent exister. Deux autres habitent en plaine.
LS — La survie n’est pas possible en dehors des forêts ?
— Si, mais elle est plus difficile. Ici, nous avons de quoi nous nourrir et nous avons la paix. Le fruit que Sébastien vous apportait est presque notre seule nourriture. Hors de la forêt, la paix n’existe pas et la nourriture est rare, mais elle est aussi plus riche. La guerre est le seul mot qui peut décrire ce qui se passe ici.
LS — Ce sont les communautés qui se combattent pour avoir la meilleure place ?
— Non. La guerre, c’est Calista qui la livre.
LS — Vous voulez dire que les colons se battent contre la nature hostile pour leur survie ?
— Non. Ce que je veux dire sera peut-être difficilement concevable pour vous comme cela l’a été pour nous. Calista réagit comme un être vivant. Calista réagit quand il y a une action que son monde juge non acceptable. Calista s’est adressée à vous en massacrant votre vaisseau. Vous seuls devez savoir pourquoi.

Lîle et Lesage n’avaient aucune idée du sens à donner à l’attaque massive dont ils avaient été l’objet. Eux-mêmes n’avaient aucune intention particulière en débarquant ici, sauf celle d’explorer, de comprendre. Ils se regardèrent perplexes.

— Si vous ne savez pas, reprit le chef, Calista va vous expliquer jusqu’à ce que vous compreniez.

Cette prophétie provoqua des rires dans l’assemblée. Ces hommes et ces femmes avaient donc de l’humour. Cet éclair de gaîté à leurs dépens était pour Lîle et Lesage un éclair de lumière, une touche de couleur dans un univers brun verdâtre.

— Nous allons vous aider, déclara le chef. Sébastien vous conduira.

Bastien se leva et fit signe à ses protégés de se lever et de le suivre. A l’extérieur, les villageois s’affairaient en silence dans la paix de la forêt toute proche.

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