Chapitre VII

En route !

C’est à la troisième visite de Bastien que Lesage annonça que sa jambe allait tout à fait bien et qu’ils pouvaient se mettre en route vers le village.

Le temps leur avait paru terriblement long. Les « journées » avaient une amplitude beaucoup plus grande que sur Geià. L’astre qui éclairait Calista dispensait une lumière alternativement teintée de mauve et d’orange, ce qui définissait à peu près le crépuscule et l’aube et Bastien n’était venu que tous les 2 ou 3 jours. A chaque fois, il apportait une sorte de fruit, gros comme le poing dont la chair pâteuse était sucrée sous la peau et légèrement salée vers le noyau. La réticence de Lîle et Lesage à le goûter puis à l’ingurgiter venait de sa couleur, d’un brun verdâtre ; par chance, il n’avait pas d’odeur. Bastien leur avait expliqué que ce fruit était tout ce qu’il pouvait se procurer sans attirer l’attention tellement il abondait. Les deux étrangers durent en plus boire une eau pétillante qui sentait nettement le soufre. Ce régime les avait pourtant parfaitement nourris et ils pouvaient dire tous deux qu’ils étaient en forme.

Avant de partir, Bastien leur fit quelques recommandations :
— Nous allons traverser la plaine Ridée, c’est la partie la plus difficile. Nous serons obligés de faire des détours, de gravir des talus ou d’enjamber des crevasses. Puis nous atteindrons une forêt. Il faudra me suivre et être concentré sur cela. La traversée de la forêt est délicate.
En écoutant ce jeune garçon les briefer comme un chef d’escouade, Lesage était surpris du contraste avec son attitude à leur première rencontre. Le garçon continuait :
— Lorsque nous serons en vue du village, vous vous tiendrez derrière moi, côte à côte. Nous traverserons le village en silence, je vous conduirai jusqu’au chef du village. D’accord ?
— Je crois que j’ai compris, dit Lîle. On ne prend aucune initiative et on te suit. Mais avant le village, on peut parler ?
— Oui, si vous avez besoin.
Moins que le besoin de parler, le désir d’en savoir plus sur le monde de Calista grandissait chez Lîle.
— La forêt est dangereuse ? Devons-nous prendre une arme ?
— Pas d’arme. Pas d’arme. La forêt n’est pas dangereuse pour nous. Je ne peux vous en dire plus. Marchez dans mes pas.
Lesage n’avait quant à lui pas trop l’habitude de la subordination. La mise en scène de l’arrivée au village l’intriguait.
— Est-ce qu’on a découvert notre présence ? demanda-t-il.
— Je ne le pense pas. Je le saurais.
— On te soupçonne peut-être.
— Je le saurais.
— Comment peux-tu en être sûr ?
— Je le saurais, c’est tout.
La conversation avec ce garçon qui savait aussi être buté n’irait pas plus loin. Lesage devait se rendre à l’évidence : il ne savait rien de Calista et devait admettre qu’on en sache plus que lui, et pour de secrètes raisons de surcroît. Bastien consentit à calmer leur impatience.
— Seul le chef du village est au courant de votre existence. Je devais le prévenir. Il m’a autorisé à m’occuper de vous. Il vous attend.
Cela dit, Bastien se dirigea vers la sortie. Après une brève hésitation, Lîle et Lesage le suivaient sur la plaine Ridée.

La traversée de la plaine dans la chaleur humide de la journée fut éprouvante. Le manque d’exercice, les difficultés du terrain obligeaient Bastien à marquer le pas pour attendre les 2 étrangers. La traversée de la forêt fut moins désagréable, presque plaisante même. L’air y était léger, frais et la sensation de pureté qu’ils éprouvaient les aurait distraits si Bastien ne leur avait à nouveau recommandé la vigilance.
Sans profiter plus de ce délicieux moment, ils débouchèrent sur le village. Ils se mirent en formation comme le voulait Bastien pour avancer sur une large allée de terre battue. Une foule disparate se forma bientôt de part et d’autre, muette. On n’entendait que le murmure de quelques-uns : « C’est Bastien, c’est Bastien. »
Au bout de l’allée, un homme de haute taille se détacha d’un groupe. Il émanait de l’homme une force inquiétante. Il était à coup sûr plus que le chef du village, probablement aussi juge et peut-être même quelque chose comme justicier. Bastien s’arrêta à quelques mètres.
L’homme tourna les talons et disparut à l’intérieur d’une hutte. Le silence régnait ; les villageois ne manifestaient ni animosité, ni curiosité, juste une tranquille présence. Lîle profita de cette pause dans la cérémonie d’accueil pour risquer un regard alentour. Des huttes comme celle du chef étaient dispersées sur une vaste clairière. D’une architecture identique, de dimensions variables, elles présentaient toutes la même orientation. On devinait qu’il n’y avait pas de voie autre que l’allée centrale qu’ils avaient empruntée ; Lîle pensa que l’évitement et la cohésion structuraient le village. Cette disposition répondait évidemment à des conditions dont elle n’avait aucune idée. De son impression générale, c’était un village paisible.
Lesage de son côté détaillait avec prudence le même environnement mais avec un autre regard. Il envisageait une possibilité de fuite en cas de danger et n’était pas optimiste. Trop de zones à découvert, trop de distance entre les bâtiments, pas assez de planques. Le fait d’être empêché de s’échapper en raison même de l’impossibilité de choisir une stratégie le déstabilisait. Il éprouvait le silence de la foule comme une oppression. Il n’aimait pas ce village.
Une fulgurante association d’idées lui traversa l’esprit. Une comparaison absurde des couleurs du décor, toutes en tons de brun et de vert, avec le fruit qui les avait nourris lui arracha un sourire.

La foule se dispersa.

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