Chapitre VI

Lefrère

En sortant de l’entretien avec le Patron, Lefrère était plus abattu que jamais.
Déjà, l’absence de son co-équipier, encore trop fraîche, plombait son moral ; en plus, il était maintenant le co-équipier du Patron.
Il avait perdu plus qu’un collègue : un modèle, bien qu’il sache qu’il n’arriverait jamais à sa hauteur. Il avait perdu un chef et c’était très ennuyeux car Lefrère avait horreur de prendre des décisions. Il agissait à l’intuition, ce qui n’était pas une bonne chose quand on devait Servir dans le Respect d’une Valeur, avec Vaillance. La compagnie qui l’employait, bras armé du Conseil était là pour faire appliquer en douceur le principe de la tolérance zéro et l’intuition était trop liée à la sensibilité pour que lui, Lefrère soit tout à fait à l’aise quand il endossait son uniforme. Il suivait donc Lesage et marchait dans ses pas. En retour, il apportait la flammèche qui éclairait une enquête, l’étincelle qui embrasait une réflexion. Ce n’est pas Lesage qui se ménageait du loisir et qui avait eu la curiosité de fouiner du côté des colonies pour tomber sur le cas Calista, c’est lui, Lefrère !
Le patron, Lefrère n’avait jamais eu à l’affronter en tête à tête jusqu’à ce jour. Il n’arrivait pas à être persuadé de sa parfaite sollicitude. Ce Patron, qui lui passait de la pommade en le remerciant de lui avoir sauvé la vie et qui l’instant d’après l’égratignait d’une menace de sanctions, était bien difficile à cerner. Et la mission qu’il lui avait assignée, pourquoi devait-elle se dérouler « dans la discrétion » ? Est-ce que lui, Lefrère, avait l’air tellement abruti qu’on doive lui faire cette recommandation ?

C’est l’esprit tiraillé par ces pensées contraires que Lefrère rouvrit le dossier de niveau 2. S’il devait bosser sur ce dossier, il devait y trouver un côté ludique, sinon ça ne marcherait pas. Une petite dame brune en faction devant l’Egide, un neveu sportif qu’elle devait rencontrer en cachette de sa sœur jumelle… Ce microcosme formait un système, une mécanique, un mécanisme… Comment cela fonctionnait-il ? A quoi cela servait-il ? En effet, cela pouvait constituer un jeu…

« Top chrono ! Tu as dix secondes pour donner la solution ! En deux temps trois mouvements ! Allez hop ! En trois coups de cuillère à pot ! »

La voix familière tentait de raviver l’enthousiasme mais la motivation de Lefrère était vraiment trop faible. Il referma sèchement le dossier pour la faire taire, claqua la porte de son bureau derrière lui et prit la direction de L’Egide : c’est là que l’histoire s’était interrompue, c’est probablement là qu’elle reprendrait.
Lorsqu’il arriva en vue de l’égide des jeunes, il n’eut pas de mal à repérer sa cible. La petite dame brune au turban violet était bien là où, avec Lesage ils l’avaient laissée. Elle n’avait donc tenu aucun compte des recommandations des agents de la SR2V. Cela la rendait plutôt sympathique à Lefrère mais son objectif étant de gagner le jeu, si possible en deux temps trois mouvements, il était bien décidé à ne laisser aucune chance à l’adversité. Il choisit de bluffer dans un rôle de composition, celui d’un agent sourcilleux.

LF — Bonjour Madame. Je croyais m’être fait bien comprendre. Vous ne pouvez pas braver un signalement et faire comme s’il n’avait jamais existé.
« He hé ! Ce n’est pas si désagréable de jouer les agents sourcilleux » lui susurra la voix familière.
PDB — Pardon Monsieur, mais qui êtes-vous ?
LF — Je suis la SR2V !
« Voilà ! C’est bien ça, c’est très bien ! comme dirait le Patron. Tu y es. »
PDB — Mais oui, je me souviens maintenant. Vous étiez avec votre charmant collègue. Il ne vous accompagne pas ?
LF — Non. Vous attendez toujours votre neveu ?
« Bien. Pas de familiarité. Des réponses nettes, des questions claires. »
PDB — Oui, toujours et encore, soupira amèrement la petite dame brune qui espérait ainsi attendrir la SR2V.
LF — Encore ? Vous l’avez donc rencontré depuis notre visite. Cela ne vous a pas suffi pour lui dire ce que vous vouliez lui dire ?
« Montrer de la sagacité et une parfaite connaissance du dossier : bien joué ! »
PDB — Si… Oui, j’ai pu lui parler.
LF — Mais il y a du nouveau, n’est-ce pas.
PDB — … Comment le savez-vous ?
« Nous ne le savons pas, Petite Dame Brune, nous ne le savons pas… Juste une intuition. »
PDB — Je vais tout vous dire. Venez avec moi.

« Temps mort ! On reste calme, ça va aller. Rester sur les fondamentaux. On est la SR2V, on peut gagner, on doit gagner. Suis-la ! »

Lefrère venait de se trouver un chef.

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