Chapitre II

Un autre éveil

Calista n’est pas un monde capricieux. Au contraire. Les colons en avaient acquis une certitude empirique par l’observation des phénomènes que Calista produisait. Ainsi les vents, ou plutôt le vent n’arrivait pas sans raison. On pouvait toujours relier le déclenchement d’un tel cataclysme à un fait, un événement, une situation antérieurs. On se gratte quand ça démange, Calista génère un vent compris entre 20 et 250 km/h quand… L’épisode peut être aussi bref et violent que chasser un insecte importun. Il est souvent plus long mais tout aussi violent. Le vent charrie alors toutes sortes d’objets et de déchets de toutes tailles, essentiellement végétaux et minéraux, mais aussi des productions humaines.

Ce que les colons ne comprenaient pas encore c’est comment ces objets pouvaient, ensemble, filer entre 20 et 250 km/h. S’ils avaient vu se poser en catastrophe le vaisseau terrestre immobile dans le vent qui venait de se lever, ils auraient bien évidemment fait le rapprochement mais pour l’instant, seul Bastien avait vu la scène : un vaisseau terrestre qui avait pris de plein fouet une volée de débris végétaux et de rocaille, ce qui avait stoppé net sa progression. Blotti dans une tranchée de ravinement, le garçonnet attendait que Calista soulage son irritation. Le vent cessa après qu’une dernière salve de projectiles vint se fracasser sur la carcasse du vaisseau.
Le calme revenu, Bastien sortit de son refuge et s’approcha de l’appareil. Se hissant vers un hublot, puis un autre, il tentait de scruter l’intérieur. Un homme, la tête versée sur son épaule, les bras dans le vide, semblait dormir à son poste de pilotage. Sur le sol près de lui gisait une forme féminine. Des instruments pendaient au bout de leurs fils, des arcs électriques intermittents crépitaient en différents endroits, un éclairage de secours baignait l’ensemble d’une pâle lueur, divers objets jonchaient le sol. L’état général du vaisseau, ce grand désordre et l’immobilité des occupants signifiaient que leur voyage s’arrêtait là.

Mais pour Bastien, c’est une aventure intéressante qui s’offrait. Il n’avait jamais vu d’aussi près un tel vaisseau et surtout jamais eu un tel vaisseau à son entière disposition. Le hasard de sa vadrouille lui faisait là un joli cadeau, l’exclusivité d’une exploration. Il eut quelque difficulté à décoincer la portière à moitié défoncée par les chocs, mais lorsqu’elle céda son cœur se mit à battre plus fort. Il pénétrait dans un lieu où les enfants de son âge rêvaient de pénétrer et il allait pouvoir rêver comme aucun enfant de son âge ne pourrait rêver. Et, réprimant toute idée de revanche, il comptait bien savourer l’aventure pleinement et égoïstement.
La présence des deux corps le contrariait un peu : il ne serait pas aussi serein pour jouer à l’aventurier et il devrait avertir le chef du village, ce qui le priverait de revenir librement et seul.

Il s’approcha tout d’abord de la forme féminine. Elle était très pâle, très belle, plus belle que les femmes ici ; elle était blessée au front. Il la secoua légèrement comme pour la réveiller mais elle ne réagit pas. Il se dirigea vers l’homme affalé sur son fauteuil de pilote. Sa description était la même que pour la femme. Mais quand il le secoua légèrement, il rompit le fragile équilibre de sa position et le corps bascula mollement au sol. Bastien prit alors conscience du tragique de la situation et proche de la panique, il recula à tâtons puis tourna les talons pour se diriger sans bruit vers la sortie.

— A l’aide !

Cette voix faible dans le silence de ce tombeau de métal pétrifia Bastien.
Plus que la peur d’entendre parler un mort, ce sont les mots qui le faisaient frissonner, lui coupaient le souffle, liquéfiaient sa volonté : jamais on ne lui avait demandé de l’aide.

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