Texte réalisé dans le cadre d’un atelier d’écriture – 28 avril 2022.

Consignes : schéma narratif – un sujet se trouve mêlé à une situation désagréable qu’il n’a pas provoquée – utilisation de termes (ou dérivés)marquant les émotions ressenties par le sujet – terminer par une métalepse narrative

Après plusieurs jours d’effervescence, de préparation aux petits oignons de ce voyage, sa joie était à son comble, il trépignait d’impatience depuis des jours et, enfin, il allait monter dans son train. Elle commence dorénavant à s’estomper, sa liesse, à s’effriter, grignotée par cette attente, cet imprévu. Le grand-père est déconcerté, contrarié : il erre désormais depuis plus d’une heure dans la salle d’attente de cette gare surpeuplée, les yeux rivés au panneau d’affichage des trains grandes lignes au départ et des horaires. Il voit de plus en plus mécontent le nom de chaque destination affublé d’un numéro de train et d’un numéro de quai, s’animer lorsque chaque train va partir, part, est parti ; jamais la sienne n’est annoncée au départ, ni même un numéro de quai, un horaire : bref ! Son train ne semble pas exister.

 Son exaspération monte d’un ton par tranche de quelques minutes supplémentaires d’attente, le tac-tac-tac des lettres et des chiffres qui tournent sur ce grand tableau inutile pour lui l’insupporte ; il s’assoit, il se relève, lève la tête, lève les yeux vers cet affichage provocateur, fait quelques pas, tourne en rond, se rassoit, décide d’aller manger un morceau, et puis non, les odeurs graisseuses de ces frites et beignets du kiosque voisin lui coupent tout à coup l’appétit. Le grand-père essaie de rester stoïque, pensant à juste titre que ça ne sert à rien de s’énerver, qu’il n’y peut de toute façon rien, qu’il saura, bientôt, la raison de ce retard considérable car bien sûr, il y a une raison et on ne peut pas les laisser indéfiniment dans l’ignorance, non ? Il se relève, se rassoit rapidement avant que son siège en plastique déjà convoité ne soit réquisitionné par un autre voyageur qui déambule aussi désappointé. Pour cette même raison il retarde le moment où il lui deviendra absolument nécessaire de quitter ce repaire synthétique pour aller se vider la vessie malmenée par sa crispation. Cette attente le tourmente, il est agité et triste pour ses petits enfants qui, là-bas, vont l’attendre aussi sans en savoir davantage que lui et au moins aussi inquiets.

Il se tétanise presque d’énervement lorsqu’enfin une annonce concernant son voyage se fait entendre dans le crachotis des hauts parleurs, il y a de l’écho dans le hall de gare mais il comprend que cette annonce est pour lui … et lui est défavorable, vraiment : un retard de deux heures, au moins. Retard aussitôt confirmé par le tac-tac-tac assourdissant du panneau qui, pour la première fois de la journée, mentionne le train dans lequel il avait réservé. Il grogne, il grommelle, il gesticule, il prend à partie les voyageurs qui passent à proximité. De qui se moque-t-on ? Il entend des « il paraît que… », des « ça va durer toute la matinée… », des « ah, la FCSN c’est plus c’que c’était ! », des « une sacrée panne en tout cas… », et des « comment ça, des vandales ?… ». Son humeur en devient massacrante.

Puis paniqué il apprend que tous les trajets dans sa destination sont annulés pour un certain temps.

Puis horrifié il comprend dans ce brouaha qu’il y a eu un suicidé sur la voie ferrée.

Qu’une enquête de longueur indéfinie est ouverte.

*******

Je suis debout. Tout ébahi . Je suis encore debout, mes pieds frôlant ce rail posé sur son lit de graviers et ses belles traverses de chêne sans doute attaquées par les thermites. Debout, et hagard ! Je ne sais même plus de quel coté doit arrivé le train, celui qui devrait me projeter vers l’inconnu du néant,. J’avais réussi à me persuader qu’il fallait s’allonger de façon si inconfortable et attendre le moment fatal. J’ai attendu, attendu… et rien. Où est-il ce train ? Quand arrivera-t-il ? Et comment ? Je pensais que c’était une grande ligne, avec beaucoup de passages, et à grande vitesse… et rien. Même pas un petit frémissement des rails. Rien. Serait-ce un signe alors, que ce suicide n’est pas la bonne solution. Albert Camus disait : « on doit mourir pour punir sa femme, et on lui rend la liberté . Autant ne pas voir ça » (La Chute), et, bien sûr, il a raison ; je confirme, ce n’était pas la bonne solution : personne ne serait puni, si ce n’est moi-même car en plus je ne verrai même pas leur tête étonnée ou peinée, ni ma femme et mes enfants, ni mon patron et ces trous du cul de collègues, ni ce monde qui part à vau-l’eau et ces 7 milliards d’individus. Ah si, ça emmerderait seulement les voyageurs un instant dépourvus de leurs projets de voyage ! Oui c’est un signe. D’où, de quoi, je ne sais pas, mais il me dit qu’il faut que je me relève dans la vie comme je viens de le faire de cette voie ferrée qui doit être, au sens propre comme au sens figuré, une voie de garage ; sinon, quoi ?

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