Ce qui est formidable avec les vacances confinées, c’est qu’on a le devoir de ne rien faire …
Et donc, mardi, en début d’après-midi, je réalise soudain qu’à force de faire du rien, et de le faire très bien, j’ai oublié de remplir ma poubelle de déchets verts.
Or, je vous assure, c’est d’importance ! Avec ma manie de tout laisser pousser, je suis envahie d’exubérances en tous genres, d’arbustes à tailler, et de branches qui dépassent « sur le domaine public » (ou chez mes voisins qui ont, eux, pris soin de tout arracher, couper et bétonner dès leur arrivée).
C’est que le bobo moyen qui est venu coloniser ma petite banlieue en achetant à prix d’or un appartement dans les nouvelles « résidences » qui y poussent comme des champignons en automne (ou une maison avec « jardin ») achète bio mais ne supporte pas que sa marche soit entravée par la moindre brindille.
Donc, la taille hebdomadaire, c’est mon graal à moi, ma nécessaire quête, mon objectif incontournable.
Bref, mardi, ça tombe finalement bien, je suis dispo (et pour cause), la benne de collecte n’est pas encore passée, et il fait beau.
C’est donc sous un doux soleil de début d’après-midi que je rabats allègrement les altéas qui me cachent de leurs fleurs en été, tout en bénissant la chance qui est la mienne d’avoir accès à ce petit bout de nature malgré les contraintes qu’elle m’impose. Les branches sont hautes, la poubelle est assez vite remplie, je peux la traîner vers le trottoir. Arrivée à la limite de mon jardin et de la voie publique, là où, avant, il y avait un portail qui s’est fait exploser par un conducteur anonyme, je m’avise que du lierre dépasse. Oh, rien du tout, juste quelques lianes échappées, ou disons un peu plus échappées que les autres, vu que c’est devenu un arbre, le truc.
Autant dire, donc, qu’il était parfaitement inutile d’enlever deux petits rameaux insignifiants au regard de la grandeur de la tâche ,,,
Mais je le fais. Parce que, ben, je le fais, quoi ….
C’est à cet instant précis, alors que je dépose mon ultime et dérisoire butin sur les ramures qui dépassent du conteneur, qu’ils se rappellent massivement à mon bon souvenir : les frelons …. Pourtant, je le savais, bon sang ! Je les avais vus, voire observés, ces bon sang d’intrus qui viennent butiner les fleurs du lierre.
La météo, qui était propice pour moi, l’était donc aussi pour eux, et ils étaient nombreux à être venus se baffrer chez moi sans avoir rempli leur autorisation de sortie…
Enfin, ça, c’était avant.
Parce que, visiblement, je leur ai coupé l’appétit.
Et me voilà en un rien de temps entourée d’une nuée de frelons, tout dard dehors. Et pas contents du tout apparemment.
Donc, à ce moment-là, voyez-vous, on se dit qu’il est indispensable d’avoir une autre stratégie que celle, par exemple, qui est la mienne devant une araignée. Parce que, oui, je l’avoue, c’est idiot, mais j’ai très peur des araignées. C’est souvent irrationnel, la peur, et on a beau la raisonner, elle persiste. Une araignée, c’est rarement dangereux sous nos latitudes. Bon, ça a plein de pattes noires, immenses, disproportionnées, qu’elles ont en plus tendance à lancer en avant, comme ça, pour tâter l’air et le terrain, et ça, même si c’est terrifiant, ce n’est pas dangereux non plus. Ce sont des pattes, pas des kalachnikov ! Et bien, même en sachant tout cela, devant une araignée, il n’y a rien à faire, je me carapate en courant (et encore, c’est heureux si, en plus, je m’émets pas un hurlement strident!),
Ne croyez pas que je noie mon récit d’un aparté futile, pas du tout : en fait, tout ça, c’est ce que je suis en train de me dire, figée à côté de ma poubelle, pétrifiée au milieu des bourdonnements qui me frôlent. Parce qu’il faut bien penser à quelque chose dans ces cas-là, d’autant que le temps dure longtemps, presque un million d’années (même si on n’est plus en été).
Finalement, tout doucement, les choses se calment. Petit à petit, les bestioles retournent à leur pique nique, celles qui restent me paraissent plus intriguées par ma présence immobile qu’agressives. Moi même j’ose les regarder mieux : ça me détend. C’est une belle bête, un frelon … Une armature solide, aérodynamique, la taille est fine et la couleur s’harmonise parfaitement avec celles du bouleau qui perd ses feuilles à l’arrière-plan (tiens, encore un truc que j’ai laissé pousser …). Je décide donc, parce que ça me fait moins flipper, que c’est du frelon européen.
Je commence à entrevoir que cette aventure aura une issue heureuse qui ne sera même pas digne d’un article au rayon Bio de L’Espricerie : encore un peu de patience, et je devrais donc pouvoir aller tranquillement déposer ma poubelle sur le bord du trottoir.
C’est alors qu’il est arrivé.
Je vous rappelle juste la situation géo-statique : je suis à la limite de mon jardin, et il n’y a plus de séparation matérielle entre chez moi et pas chez moi. Je suis debout, sans bouger, à côté d’un grand conteneur à déchets verts qui déborde et entourée de frelons.
Et c’est donc à cet instant, que je le vois arriver, ce grand type dégingandé, à la démarche chaloupée, et qui fonce droit sur moi. Enfin, droit, c’est une façon de parler, vu qu’il est bourré comme un coing.
« J’peux vous aider, madame ? »
Oh là … La lueur de l’œil m’indique clairement que le mauvais pinard n’est pas le seul responsable de son état.
J’essaie quand même : « non merci, c’est gentil, mais je n’ai pas besoin de votre aide, au revoir et merci encore »
« Et pourquoi tu veux pas que je t’aide, madame ? »
« Parce que je n’en ai pas besoin ! »
Et il s’approche encore, toujours tanguant et gesticulant.
C’est fou, la lucidité qu’on peut avoir dans ces cas-là. Car je les vois très bien, les frelons : ils ne sont plus autour de moi, je suis parmi eux, si vous voyez la nuance. Ceux qui étaient retournés butiner sont revenus, et ils sont en train de se mettre en formation. Ou tout du moins, n’étant pas spécialiste de leur comportement, c’est ce que je crois pouvoir analyser.
Je tente donc la pédagogie : « vous voyez, les insectes autour de moi ? Ce sont des frelons, il ne faut pas vous approcher sinon ils vont vous piquer »
« c’est quoi un frelon ? »
« ce sont les insectes que vous voyez autour de moi »
« ça pique ? »
« oui, et ça fait très mal, alors ne vous approchez plus »
« j’peux voir ? » dit-il en agitant très haut son bras,
Oh put….. On court au drame. Finalement, la trouille maîtrisée que j’ai eue juste avant, ce n’est rien par rapport au sentiment d’urgence que j’ai maintenant. Tout à l’heure, j’avais prise sur la situation, je pouvais choisir quelle attitude avoir, me donner une chance de m’en sortir en courant si besoin était, je pourrais même affirmer que je n’ai finalement pas eu si peur que ça, mais là, en cet instant, tout m’échappe.
Personne d’autre alentour. Le type avance encore avec de grands gestes. Je fabule sûrement, mais je ressens cette fois-ci l’agressivité de l’essaim, il me semble que les bourdonnements n’ont plus la même tonalité. Un scénario catastrophe défile dans ma tête : le type va se faire attaquer.
Les comportements déviants, souvent, ploient devant l’autorité. J’ai donc usé de la plus gigantesque autorité que je crois n’avoir jamais employée. Toujours sans bouger, toujours sans crier, mais avec la voix et avec les yeux : « Partez immédiatement, vous m’entendez ? Je vous ORDONNE de partir tout de suite ».
Miracle, il s’arrête, titube, chancelle, baisse enfin son bras et recule un peu. J’en remets une couche, mêmes mots, même ton.
Il recule encore, visiblement terrifié, les frelons commencent à le suivre mais il ne les voit pas. Moi même j’avance prudemment, à gestes lents, menaçante, dans sa direction, et renouvelle les ordres. Cette fois-ci, les frelons sont devant moi. Il continue à reculer, je croise les doigts pour qu’il n’ait pas l’idée de courir tout de suite….
C’est arrivé à plusieurs mètres qu’il me lance « j’espère que tu vas te faire piquer ! » et qu’il prend les jambes à son cou de peur, sans doute, que je le rattrape.
Jamais je n’aurais pensé pouvoir rivaliser avec un essaim de frelons énervés sur l’échelle de la terreur !
Dois-je en tirer des conclusions ?…..
Tu as eu le bon réflexe, LE réflexe. Et tu as probablement sauvé la vie de cet idiot. On peut s’approcher très près d’un nid de frelons et les observer tranquillement si on n’a pas l’intention de s’attaquer à ce nid, ils n’auront des approches que de curiosité. Par contre ils ressentent la nervosité, il faut éviter les gestes brusques. Il m’est arrivé avec ma femme de descendre un faux-plafond dans une petite maison, et d’en prendre la moitié sur la gueule avec la centaine de frelons (des GROS) qui vivaient dedans. On est sortis lentement, dehors les bestioles nous ont entourés, mais n’ont pas attaqué. Faut surtout pas courir, malgré la trouille, parce que là, c’est l’hallali, oulala.
Par contre, quand ils rentrent chez toi le soir à deux ou trois, et qu’ils tournent comme des malades autour de la lampe, là faut éradiquer, parce qu’ils deviennent fous et ils chargent.
Et bien tu vois, mieux vaut dard que jamais !
L’aventure est au bout du jardin et drôlement bien racontée.
J’adooore comment tu racontes ça !!
N’empêche que je rejoins l’avis de tous les autres, il est drôlement bien mené ton récit, et prenant. Et l’arrivée du frelon de banlieue, un fameux rebondissement plus inquiétant encore. Bravo pour le récit mais aussi pour la présence d’esprit
Et ça t’étonne ! Non mais jeuuu rrrêêêve ou quoi ?
Y A PAS QUE LES FRELONS QUI PIQUENT !
Et les hérissons alors ?
Il a eu un éclair de lucidité le monsieur !
Ce n’est plus un récit, c’est une épopée. Tu es parfaite en impératrice des frelons. Et sincèrement, même s’ils me font peur, je pense qu’ils sont infiniment plus..;finis, plus évolués et parfaits que le bipède titubant venu en tiers. j’ai adoré ton histoire, et admiré ton sang-froid. Et je retiens « la maîtrise de soi c’est quand on ne méprise plus rien d’autre ». Bravooo !
Ouf, j’ai vérifié : le lapsus n’est pas de moi !! Il est magnifique, Joëlle :-)))
J’aime beaucoup votre texte, l’attention aux détails d’une réalité simple, peu banale cependant. Félicitations pour votre sang froid !
Merci beaucoup, Liliane.
Ah la vache! Quelle histoire! Moi qui ai une terrible frousse des insectes genre guêpes et autres frelons, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Enfin les frelons européens ça va… Normalement ce n’est pas très agressif…. Et non, les frelons européens n’attaquent pas les abeilles mais les asiatiques oui…
Ce qui me ficherait bien la trouille, c’est qu’ils s’installent chez moi. Européens ou pas !
Ah les frelons… De nature, je ne suis pas méfiante des insectes (même des araignées) du moment qu’ils ne me font pas peur… Pendant 3 ans, j’ai cohabité avec une belle épeire qui se cachait intelligemment quand j’arrosais. Il faut dire que je l’avais prévenue !!
Et là, cet été, une bonne dizaine d’écervelés ont surgi de la vigne pour me dissuader de descendre au jardin !! What ??
Paf, paf et repaf… 7 d’un coup, comme Mickey ! Ma savate ravageuse a sévi vite fait bien fait. non mais…
Sinon, oui, c’est aérodynamique, un frelon, mais con : ça bouffe nos abeilles !! Retour en Chine !
10 ?! iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiih (= cri strident …)
Ici, photo de frelon européen sur du lierre (sais pas faire ici)….le jardinage est une activité à haut risque et toi une guerrière courageuse…..
Non, non, ni guerrière ni courageuse, juste écervelée !
Ah moi aussi, il m’est arrivé d’avoir peur des frelons…comme des gars éméchés ou fous ou bêtes et agressifs…
Mais je ne sais pas, j’ai comme une envie de prendre cette histoire comme une fable de La Fontaine: vaut-il mieux adopter une attitude de terreur autoritaire pour sauver la vie de quelqu’un « à son insu » ou bien laisser cet individu à se coltiner la réalité? Autrement dit, faut-il à nouveau appliquer le « c’est pour ton bien » (anti)pédagogique d’antan?
Bon sujet pour le Bac 2021…
Tu noteras quand même que j’ai d’abord tenté la pédagogie, mais que quand ça veut pas, ça veut pas 🙁
Jusqu’où faut-il entraver la liberté et le libre arbitre des gens « pour leur bien » ? Voilà en effet un sujet d’actualité !!
L’éveil de la conscience politique Chap 1:
La méthode du frelon
Tutafé, Antoine !
J’ai eu la même réflexion que Marie-Cécile sur la qualité comparée des piqûres de hérisson et de frelon.
Mais ce qui m’a paru évident, c’est que tu étais comme une sorte de cheffe des frelons, commandante d’escadrille. Très impressionnant ! Et ta maîtrise de soi aussi ! Et ta maîtrise du récit aussi !
La maîtrise de soi, c’est quand, de toutes façons, on ne peut plus rien maîtriser d’autre :-))))
Bien raconté certes, mais surtout effrayant. Déjà, quand j’ai trois ou quatre frelons dans les parages ( ça m’est arrivé l’an dernier, il y avait un essaim pas loin, impossible à localiser), je n’en mène pas large, alors un essaim entier !
Note que le gars, tu lui as fichu une sacrée trouille on dirait, il n’est pas près de revenir t’embêter.
Ouh … Je me souviens avoir été bien plus terrifiée, limite paniquée, devant un seul frelon, chez ma mère, qui avait décidé -je ne sais pas pourquoi- de m’attaquer. Ceux-là étaient nombreux, certes, mais pas belliqueux. Sans doute étions-nous loin du nid.
Une femme forte ! On visualise toute l’histoire et on y prend part. On a peur avec toi comme au cinéma ! Mais chapeau pour la réaction.
Très bien raconté et drôle.
Forte, je ne sais pas !!! Disons qu’à un moment donné, on n’a plus le choix, faut assumer ses conn… euh, ses bêtises !
Merci pour ton passage.
Comme quoi, les piquants de hérisson sont plus effrayants et dissuasifs qu’un dard de frelon !
Histoire « rayon bio » drôle et terrifiante … Et super bien amenée et écrite.
Super bien narré ! Et narrant … heu … je veux dire : marrant !
Dire qu’il y a des beaufs qui ont des chiens de défense… Un essaim de frelons c’est top 😉
Oui, ça s’appelle se vouer à tout l’essaim (je préfère la faire moi-même, celle-là !!!)
Et voilà ! Tu m’as coupé l’herbe sous les pieds !
Et pas qu’à moi je pense ! Je sui s curieux de voir ce que dira le Castor, ( toujours en retard celui-là ! Tant pis pour lui !)
Sorry les amis, j’ai une bonne connexion en principe, mais ces derniers temps, y a eu des journées entières sans internet. on attend que ça se passe en rongeant son frein, plaquettes et disques compris ^^. J’espère que ce n’est pas dû à l’installation de la 5G, dont on n’a nul besoin, et qui nous reprécipiterait en zone blanche, snif.
Ça n’arrange pas mon retard chronique et pathologique, et encore moins ma fâcheuse tendance à la procrastination.