Je l’avais façonnée un jour d’envie de tripoter la terre, de la laisser glisser entre les mains, sans idée précise de création, sans conviction, juste pour le plaisir des doigts, la caresse de l‘argile.

Je lui donnais même un nom pour qu’elle ne reste pas qu’une chimère ; par dérision, aussi…

Puis je l’avais cuite bien qu’elle fût un peu plate, disproportionnée, laide, et digne de redevenir un bloc d’argile compact.

Sortie du four elle apparut alors de couleur rose, un rose pas beau, un rose qui hésite entre plusieurs roses, un rose triste, jaunâtre, terne. Un rose comme je ne les aime pas.

Ce sont les bizarreries de la cuisson des terres ; à quelques 1000 °C ou 1200 °C, la chaleur leur fait prendre des couleurs parfois inattendues, parfois heureuses, parfois non, sans relation aucune avec la teinte des terres crues.

Bref ! Elle s’était acafouie durant sa conception, elle était devenue rose au cours de sa cuisson, et je ne l’aimais pas ! Voyez ma déception !

Alors, autant pour la cacher que pour lui donner une autre chance de vivre, mais loin de moi, je l’ai posée, sans la condamner, dans le jardin, sur le sol entre fleurs et herbes folles… un peu comme un nain de jardin solitaire perdu sur sa pelouse, mais un peu caché tout de même…

Je l’ai abandonnée là, aux affres des deux temps, des chats, des milliers de petites bêtes venues l’escalader, s’y frotter…

Aujourd’hui, quelques années après cette mise au rancart, je l’ai retrouvée sans l’avoir cherchée, je l’ai exhumée.

Les mousses et lichens ont colonisé sa peau ; la terre et l’eau l’ont tachetée, les chiures de mouches aussi ; les toiles d’araignées et les poils de chats l’habillent un tantinet.

Elle a perdu un œil, quelques pustules.

Elle est toujours aussi plate bien sûr.

Mais aujourd’hui elle arbore une couleur plus naturelle, plus… logique pour son espèce terreuse, argileuse.

Je ne l’aime toujours pas… Le créateur doit-il aimer forcement sa création, sa créature ?

Mais elle a survécu – comme quoi la cuisson avait été fort bien menée – et je lui suis reconnaissante de ses efforts pour avoir un peu grâce à mes yeux. Elle m’attendrit presque désormais.      Et elle intéresse les autres bêtes du jardin, malgré tout !

Et puis c’est quand même un « peu » de ma faute si elle est loupée à ce point !

Alors pour la réhabiliter, après un succinct toilettage, je vous la présente quand même, ma Chimère, ma douce Heaume-Grenouille.

Puis j’irai la reposer au milieu des fleurs fanées, là où, finalement, elle avait trouvé sa place – du moins il me semble.

D‘ailleurs, tout à coté d‘elle poussent depuis peu de curieux végétaux !         

A moins que ce ne soit de curieux minéraux !

Veuillez m’excuser pour ce dérangement !

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