Épisode précédent : ici

 

Parce que nous sommes partis, … si, si !!

Je me tenais debout à côté du conducteur et avais en main un vague papier griffonné sur lequel je ne déchiffrais à vrai dire pas grand-chose : c’était des indications que le chauffeur avait notées lorsqu’il avait fait le trajet avec un collègue. « Une seule fois, vous vous rendez compte ! c’est pas assez ! et puis il fait nuit … je reconnais rien, moi ! ».

 

C’était étonnamment loin, la Grande Motte …

Nous avons parcouru des « banlieues » qui sombraient elles aussi sous la nuit et la bourrasque. A un moment donné, nous eûmes un espoir : sous un « abri »-bus, dégoulinait un jeune homme. Le chauffeur s’arrêta :

Lui : vous allez à la Grande Motte ?

Lui (l’autre) : non

Lui : vous êtes sûr ?

Ça m’a un peu rassérénée : il n’y a donc pas que moi qui excelle dans les questions idiotes ….

 

Brusquement, nous avons quitté la présence rassurante de la ville pour nous engouffrer sur une 4-voies, dont nous sommes sortis assez rapidement. Je ne voyais pas ça, sur mon papier griffonné. Certes je n’y voyais pas grand-chose depuis le début, mais quand même …

Autour plus rien. Plus aucune lumière, plus aucune intersection, le vide.

Juste la nuit et la pluie. Et ce bus qui avançait en hésitant.

 

Et c’est à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, que je réalisai.

 

Ma fille, tu es dans un bus fantôme, de nuit, avec un parfait inconnu, tu ne sais pas du tout où tu es, et en plus personne ne sait que tu y es.

Euh ……..

 

Et là, vraiment, ça m’a paru ANORMALEMENT loin, la Grande Motte.

 

Comme dans un mauvais rêve, le temps semblait s’être figé en un seul instant éternellement renouvelé.

Dans le bus, régnait un silence pesant.

 

Prisonnière de cet espace clos où la tension était palpable, j’osai plus bouger ni regarder l’homme, de peur d’enclencher une réaction funeste. Nous avions tous deux les yeux rivés droit devant, sur le noir de cette nuit d’encre que les essuie-glaces n’arrivaient pas à chasser. Alors que la pluie nous inondait toujours, rendant dérisoire le halo des phares sur l’asphalte englouti, le vent se mit de la partie par rafales rageuses, cahotant le bus de gauche à droite comme un esquif fragile pris dans une mer démontée.

 

A ce stade-là, j’imaginais déjà les titres des journaux : « une stagiaire sauvagement assassinée par un schizophrène en fuite » ; je pensais aux fleurs et couronnes que déposeraient mes collègues accablés (« dire qu’elle l’avait tant voulue, cette formation !! ») ; je m’excusais mentalement auprès de mes enfants (« maman nous avait pourtant bien dit de ne jamais monter avec un inconnu …»). Pour me détendre un peu, je supputais que ça pourrait peut-être être considéré comme un « accident de trajet », et que ça mettrait un peu d’épinards dans le beurre de mes petits éplorés.

Mais allait-on au moins retrouver mon corps ?

 

L’homme restait obstinément mutique, et je ne voyais -du coin de l’œil- que ses larges mains se crisper convulsivement sur le volant.

Au bout de longs,

très longs,

très très longs kilomètres,

il se racla la gorge avant de rompre l’épaisseur du silence d’une voix rauque :

 

« Je crois que les lumières, là-bas, c’est là qu’on va.

Ça n’vous embête pas si j’allume une cigarette ? Parce que je vais vous avouer un truc ….

J’ai eu vachement peur … ! »

 

 

Pffffffffffffffffffffff …..

 

 

(J’ai constaté au retour qu’en effet il y a une bonne distance à parcourir entre la Grande Motte et Montpellier, et que plusieurs kilomètres rectilignes s’étirent sur une étroite bande de terre : la Méditerranée d’un côté et la dune de l’autre … et au-delà de cette petite barrière sableuse, une étendue d’eau au si joli nom, « l’étang de l’Or »)

 

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