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Les auditions se déroulèrent dans une ambiance bonne enfant. Chacun y alla de ses multiples griefs que le recul et la mort prématurée de l’auteur des méfaits semblaient avoir rendus plus légers, aussi anecdotiques que les mois de service militaire pour les uns ou les mois de grossesse pour les autres.

 

Enfin radieuse, l’épouse abandonnée se sentait soudain vengée d’une vie d’amertume et de soumission tandis que les enfants, jusqu’alors ignorés, voyaient enfin se profiler la juste récompense d’un sympathique héritage.  Les locataires actuels des 3 maisons de cet étonnant cadet Roussel purent s’épancher, avec force détails, sur leurs déboires sans fin (il fallut les interrompre pour gagner du temps), alors que les anciens locataires, sans s’être donné le mot, repassaient tous en boucle les conditions aussi injustes que traumatisantes de leurs états des lieux respectifs. Les occupants des maisons mitoyennes, quant à eux, arrivèrent avec un stock impressionnant de lettres recommandées, truffées de fantaisies orthographiques et de fautes de syntaxe d’une grande créativité. Tous, donc, furent parfaitement unanimes : oui, cet humain devait être classifié sans hésitation dans la catégorie des Homo Salopus Salopus

 

Même la présence de Gérard sur ces lieux, en pleine nuit, ne semblait incongrue à aucun des témoins puisque le futur trucidé passait, de son vivant, des heures à les espionner, ridiculement tapi dans quelque pauvre buisson innocent ou patibulairement enfoncé, énigmatique et sournois, dans le siège conducteur de sa voiture, tous phares éteints.

 

L’inspecteur Dupont était bien embarrassé. En 12 ans de carrière, jamais il n’avait eu autant de pistes à sa disposition. Il avait beau compulser ses notes, tous les mobiles possibles étaient là, étalés devant lui : haine, vengeance, intérêt, lequel choisir ?

 

Puisqu’il lui fallait néanmoins agir, il demanda des enquêtes sur tous ceux et toutes celles qu’il avait auditionnés.. Les comptes bancaires furent fouillés, les employeurs et les collègues interrogés, les modes de vie disséqués. En vain. Des maîtresses furent à l’occasion débusquées dans la vie tranquille de quelques bons pères de famille, et un amant occasionnel et lui-même marié, fût assez vite repéré également dans la vie apparemment routinière et rangée d’une des locataires … Mais pas le moindre indice, pas le début d’une miette de preuve en relation avec l’affaire.

 

Et les alibis ? Aucun n’en avait ! A u c u n  …. A croire qu’ils s’étaient donnés le mot, tous ces gens, pour s’être ainsi tous cloîtrés chez eux, ce vendredi soir-là, qui devant sa télé, qui devant son ordinateur, qui (plus rares, déplora en son for intérieur l’inspecteur) avec un bon bouquin. Ah si … il y en avait bien une qui avait démontré une certaine activité quantifiable sur un site qu’elle s’obstine à appeler «L’Espricerie » : des commentaires laissés à 23h29 sur le texte d’un dénommé « Sage 747 » et à 23h35 sur les dessins d’un certain « Mékilef », une réponse envoyée à « Castor » à 23h37, puis à « Gibbon » à 23h39 (vraiment bizarres, ces pseudos …) et enfin une légende de photo postée à minuit 02 (paraît qu’il faut du temps pour trouver une bonne légende …).

De toutes façons, l’heure de la mort a été évaluée entre 23h30 et minuit 30, alors …

Et puis, qui dit qu’elle ne l’avait pas trouvée en poignardant, sa légende, hein ? Va savoir …

Oui, vraiment, l’inspecteur Dupont était bien perplexe …

 

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