Une suite (par Sage) :
Mais est-ce que l’on vient toujours chercher quelque chose quelque part ? Non, bien sûr. On s’attend juste à avoir un peu de paix, un peu LA paix quand on s’en va dans un trou perdu de campagne française.
Mais s’il y a une chose qu’il faut savoir, c’est que ce n’est pas parce qu’on ne cherche rien qu’il n’y a rien, rien du tout, à l’endroit où l’on va. Chaque endroit possède ses propres spécialités. Et ce n’est pas parce qu’une copine cuisine du veau à l’oseille qu’il n’y a pas autre chose à manger dans un trou perdu.
Donc, il faut que je me rende à l’évidence : je ne suis rien venu chercher, mais je trouve quelque chose de singulier, forcément inattendu et qui me concerne directement.
Ainsi, ce fantôme dont j’ai douté de l’existence et dont je redoute maintenant la visite est là tout spécialement pour moi. Et pour personne d’autre.
C’est justement ce qu’il me dit.
Juste après le douzième coup de minuit à l’horloge comtoise de la salle à manger, j’entends la suite de petits bruits, de la poignée, des gonds et du mouvement furtif. Je sens cette présence se rapprocher, planer au-dessus de mon drap, s’approcher plus près encore.
Au onzième coup de minuit, je suis descendue au fond de mon lit, sous les draps, tenant fermement le revers du drap rabattu sous ma tête : impossible pour ce fantôme non muni de mains et de bras de m’extirper de là.
J’attends. Et j’entends.
D’une voix chuchotée très sourde, dans un fort écho, mais en articulant lentement pour que les mots se détachent, le fantôme me parle.
Où te caches-tu Marie-Cécile ? Pourquoi te caches-tu ? As-tu peur ? As-tu peur de m’entendre ? As-tu peur que je te dise une vérité par exemple ? Je comprends ton angoisse et je m’en vais lui donner un sens.
Tu viens ici, chez moi, tu dors dans un lit où des générations ont dormi, harassées après des journées de labeur sur l’un des terroirs les plus typiques de notre beau pays, tu critiques le moelleux du matelas, tu dénigres la couverture, tu n’aimes pas le tapis… T’es-tu demandée, chère Marie-Cécile, si tu convenais à ce lieu ?
Ton parfum, chère Marie-Cécile, ton parfum… Il m’évoque le désodorisant bon marché qu’on trouve dans les cabinets des ménages nécessiteux. Alors que cette maison, cette pièce embaument le temps qui passe sur la pérennité des objets et des âmes, ce mélange d’odeur de cire, de poussière, de bois, de fumée, de pomme, l’exotique patchouli, l’atypique patchouli vient renier tout, d’un coup.
Je ne suis pas un fantôme, tu t’en rends compte maintenant. Je suis bel et bien l’effluve nauséabonde du lavabo, le parfum des bactéries, un relent de fosse…
Au matin, quand je me suis réveillée, il y avait dans la chambre une odeur bizarre, une drôle d’odeur, un vrai cauchemar.
En descendant dans la salle à manger où quelques compagnons étaient déjà installés à petit-déjeuner, j’ai demandé où était la liste de courses.
J’ai noté : Harpic, entretien canalisations.
La possibilité d’une suite (par Cachou) :
La nuit suivante, je décidai qu’on ne me la ferait pas 2 fois. Je me suis donc couchée, l’air de rien, me suis recroquevillée sous les 4 couches de vieilles couvertures, j’ai innocemment mis ma tête sous l’oreiller, mais -hé hé- cette fois-ci, j’y ai aussi mis mon appareil photo…. Ainsi installée, l’objectif tourné vers la porte du placard, j’attendis patiemment.
Le temps ne me parût pas très long, parce que je rêvassais, pensant à la journée de la veille, à celle du lendemain, aux courses à faire, enfin tout ça, quoi, mais sans doute fût-il plus long que je ne l’avais imaginé car soudain, je l’entendis : au cœur de la nuit noire, vrillant le silence de son cri aigu et douloureux, le bip bip de l’appareil me signalant l’agonie de sa batterie …
Et s’éteignit.
C’est à cet instant que doucement la porte s’ouvrit et que mon spectral danseur entra en piste. Il se pencha doucement au-dessus de moi et me sourit. Si, si, comme je vous le dis : il m’a souri ! Alors je lui ai souri aussi, et je me suis endormie, le laissant danser à sa guise toute la nuit sur le tapis défraîchi.
Suite réelle (par Marie-Cécile) :
Dans la journée, Je n’en reparlai pas à mes comparses du manoir normand, si ce n’est pour participer aux moqueries sur ce sujet nébuleux qui, une fois lancé, devenait intarissable, et, secrètement, j’attendis les 12 coups de minuit pour réintégrer ma chambre. Peureuse ? Non point, mais curieuse !
A peine couchée, la porte s’entrouvrit et le halo luminescent recommença à tournoyer autour de moi, se rapprochant davantage à chaque tour de lit. Je regardai les yeux écarquillés – et les yeux dans les yeux, si je puis dire – pour ne rien perdre de cette aventure, puis d‘un seul mouvement vers son placard, il me quitta pour enfin me laisser tranquillement m’endormir.
L’histoire se serait répétée ainsi toute la semaine si, le matin au réveil, je n’eus cette soif , témoin d’une nuit agitée. Car, attrapant la bouteille d’eau qui toujours trônait sur la table de nuit, je constatai qu’elle était vide !
Après m’être assurée que l’eau ne s’était pas répandue au sol ou sur le chevet, je ne pus me rendre qu’à cette évidence : quelqu’un l’avait engloutie, ou jetée…
Je décidai de faire semblant de dormir la nuit suivante, même si cela devait m’occasionner une mine de déterrée, et d’attendre que mon visiteur s’approche du lit pour saisir l’eau.
Il sursauta lorsque je lui volai la bouteille à la barbe.
Il recula et me dit, implorant : je suis le fantôme du lavabo du placard…
Y’a un F… touriste qui a coincé mon vieux robinet.
S’il vous plait, j’ai soif !
Alors, avec un petit sourire aux lèvres, j’ai réparé le robinet…
Suite originale Mékilef.
Dans tous les cas Marie-Cécile, tu as réussi ta reconversion et grâce à ta dextérité, l’eau vive du robinet a redonné goût au fantôme du lavabo !
Au milieu de la nuit, j’émergeai lentement de la brume, la tête un peu lourde et la bouche pâteuse. J’avais soif, et réalisai que j’étais à nouveau dans mon lit, par quel … sortilège ? Je reprenais mes esprits, le souvenir de ma nuit précédente me revenait peu à peu, et avec lui je sentais remonter en moi une sourde angoisse. Je tâtonnais du côté le la table de nuit, à la recherche de l’interrupteur de la lampe de chevet: « tout sauf le noir! » pensai-je . C’est alors que je sentis sous mes doigts un objet froid qui me glaça de terreur? D’instinct je sursautai et retirai vivement ma main.
C’est alors que j’entendis une voix proche que me dit :
« Tsss Tsss ! Te voilà soudain bien réveillée ! Quand je suis entré, tu ronflais. Tu ne peux pas imaginer à quel point ça m’a fait plaisir d’entendre enfin quelqu’un ronfler, ça fait si longtemps ! »
Je me tournai vers la voix et vis mon nuage de la veille assis au bout de mon lit. J’allais à nouveau tenter d’allumer, mais il me dit sur un ton rassurant:
« TSSS TSSS ! Surtout pas ! Je disparaîtrais aussitôt ! J’ai tellement envie d’un peu de compagnie, Il y a si longtemps ! »
« Ah! » me dis-je, et le moment de frayeur passé, je ne tentai plus d’approcher l’interrupteur.
« Ahem ! Et qui es-tu ? » demandai-je en me raclant la gorge un peu embarrassée mais rassurée cependant par le ton de sa voix .
« Qu’importe! » dit-il, et je compris que depuis le temps qu’il était privé de compagnie, il avait très envie de papoter. Aussi je me prêtai au jeu et passai d’excellents moments avec lui, et cela chaque nuit jusqu’au jour du départ. Je ne dis rien de ces folles nuits à mes compagnons qui se seraient inquiétés pour rien de ma bonne santé mentale. J’avais retrouvé ma bonne humeur, mon esprit taquin et mon appareil photo. Entre quelques gros plans sur les petites fleurs et les insectes, j’allai capturer au petit matin la mine renfrognée de ma copine ou l’autre empêtré dans les barbelés d’une clôture.
Rentrée chez moi je vidai ma valise et c’est alors que je trouvai dans une poche latérale un vieil acte notarié signé d’une belle écriture ronde:
« Le fantôme du lavabo »
Mais de stylo, je n’en avais plus, il l’avait gardé, un « Mont Blanc », cadeau auquel je tenais tant !
« Le Salaud ! » pensai-je.
Ah, j’aime bien ta version aussi !
Et si vous saviez ce qu’on a pu s’en raconter lui et moi !!!
de la photographie basse énergie à la plomberie humanitaire, enfin plutôt fantomaire (?), on ne s’ennuie pas ici….. c’est chouette !
J’ai tout bien aimé, et l’idée de départ, je la trouve super. Vais aller boire un coup, tiens, on ne sait jamais.
Ça c’est des chouettes suites alternatives, bravo.
Moi j’ai photographié une fée, mais de fantômes point.
Merci pour ces deux suites, très différentes et bien tournées. Mais les fantômes n’inspirent guère de nos jours…
Ouep ! Tu voudrais nous faire croire que c’était de l’eau … Je veux bien … Mais de l’eau de vie alors. Ce qui expliquerait cette étrange promiscuité … Je dirais même « promise cuitée »
Crois-tu que c’était un effet secondaire de l’ingestion de Rimabelle de Kro ?
Quel courage ! Risquer d’être défraîchie pour un peu d’eau fraîche… Y en a qui auraient plutôt mis une tapette à souris.
Ouais, c’est ça la grandeur d’âme 🙂 !!!
Ouf ! Merci, Marie-Cécile. D’abord pour avoir fait exister ce gentil fantôme, et ensuite pour l’avoir sauvé de cette cruelle et éternelle torture 😉
J’aime beaucoup aussi la suite proposée par Sage, plus cartésienne cependant. Quand on est un Sage, on trouve toujours une explication rationnelle !!!! Et on prend évidemment les mesures drastiques qui s’imposent ….
C’est vrai Cachou, un fantôme ne meurt pas de soif… Mais quelle souffrance éternelle !