Simone, la clé ?

Simone installait Charlotte sur le sofa et lui administrait un semblant de réconfort. C’était tout Simone, ça : elle pouvait vous rudoyer, et avec Charlotte elle ne s’en privait pas, mais à la première occasion vous prodiguer les soins dont vous aviez besoin, avec la même détermination. Agenouillée devant Charlotte, elle dégageait son visage des mèches échappées de sa coiffure, arrangeait les plis de sa robe pour qu’elle tombe comme celle d’une princesse, ce qui était censé la rassurer. Près de la fenêtre ouverte, par où entrait l’air frais et humide de l’orage qui avait passé, Bastien, le solide Bastien respirait avec difficulté, soutenu par Vincent toujours dévoué. Personne n’avait entendu ma question et personne ne se la posait. Il me semblait pourtant que parmi les urgences, savoir où cette clé se trouvait était une priorité : d’abord s’isoler de ce qui nous avait effrayé et ensuite mais seulement ensuite se réconforter. Mais l’heure n’était pas à la logique, les récents événements en témoignaient et il aurait été indécent que je harcèle ma petite troupe. Je devais agir seul, la poupée à qui je trouvais un air de plus en plus espiègle étant plus encombrante qu’autre chose. Je me dirigeai donc vers le vestibule. Avec un peu de chance, il serait vide, il n’y avait aucune raison pour que quelqu’un y soit. Finalement, nous n’avions fait aucun bruit qui aurait pu alerter l’homme terrible, et ce qui se trouvait dans la sombre profondeur eh bien… se trouvait dans la sombre profondeur, voilà tout. Pourquoi y aurait-il quelqu’un maintenant ? Non, pas pourquoi, comment y aurait-il quelqu’un maintenant ! Il n’y avait aucune raison de craindre la présence de qui que ce soit. J’allais simplement entrer dans le vestibule, regarder le sol, à droite, à gauche, tout autour de moi et mettre la main sur cette fichue clé qui avait sûrement dû m’échapper à un moment ou à un autre. C’est ce que je fis après avoir fait jouer avec précaution la poignée et poussé la porte sans la faire grincer. Ni à droite ni à gauche, ni devant ni derrière il n’y avait de clé. Je réfléchissais au déroulé de mon incursion précédente, cherchant à me remémorer mes gestes et mon parcours, quand on m’interpela depuis l’escalier de gauche. Des mots parfaitement intelligibles en provenaient, non de la sombre profondeur mais de tout près. C’est ça que tu cherches ? me demandait-on. Et ma clé sortit de l’ombre et après elle un bras et après un bras un corps et enfin un homme tout entier. L’homme qui se tenait devant moi était vraiment grand, un bon deux mètres et très maigre. Sa maigreur était accentuée par ses habits, des loques ou presque, un pantalon trop court effiloché et rapiécé, une veste assortie sur une chemise qui n’avait jamais connu la lessive. Je le pris d’abord pour un clochard ou un marginal indésirable mais son air affable et son sourire permanent lui donnaient plutôt l’air d’un sympathique échalas. Il s’approcha de moi en me tendant la clé d’une main sale aux ongles noirs de crasse. Je remarquai du même coup que son sourire découvrait une dentition irrégulière lui donnant un allure de carnassier et dégageait en prime une haleine de charognard. L’effet était repoussant et le tutoiement entre nous pour le moins prématuré. Pour autant je ne pouvais me montrer désagréable envers quelqu’un qui me rendait service. En balbutiant quelques mots de remerciement, je tendis la main vers la clé mais il la retira brusquement et soudain sérieux, me chuchota d’un air de conspirateur qu’il en avait d’autres, très intéressantes aussi. Si je voulais, il pouvait me les montrer et me dire les belles portes qu’elles ouvraient. Je n’avais qu’à le suivre. Son geste qui confisquait un objet qui ne lui appartenait pas m’avait insulté et je m’apprêtais à lui dire ma façon de penser quand il fit un pas en arrière, ses yeux fixes dardant un regard fou par-dessus ma tête.

Un vent glacé me caressa le dos.

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