Or, le silence révèle bien des choses.
Par exemple, un murmure inaudible dans la sombre profondeur. Lorsque chacun fut sûr d’entendre la même chose que ses voisins par les regards échangés, Bastien se détacha du groupe. Ce qui ne fut pas sans nous inquiéter car s’il estimait que c’était à lui de s’approcher de l’escalier, c’est qu’on devait s’attendre à une confrontation directe, il n’était pas du genre à faire le voyage pour rien. C’eût été Vincent, on aurait plus opté pour un déroulement autour du dialogue, de la recherche de consensus, la négociation d’un compromis : avec lui, c’était laborieux mais on avait une chance d’être déclaré vainqueur par abandon. Simone, on connaissait son aptitude à envoyer ses troupes au charbon selon un plan élaboré secrètement, et efficace, pour la victoire, encore fallait-il qu’elle connaisse l’adversaire, ce qui n’était en l’occurrence pas le cas. Quant à Charlotte, elle n’était d’aucune utilité dans la situation présente, peut-être face à l’homme pas commode aurait-elle l’occasion de jouer son atout, s’avancer, agnelle offerte, désarmante de candeur, d’une tendreté à dégoûter un prédateur. Mais là, la décision de laisser faire Bastien s’imposait d’évidence. On attendait qu’il fasse quelque chose mais il ne faisait rien. Il écoutait. Tout à coup, on vit Charlotte fendre le groupe lentement et rejoindre Bastien. Ils adoptèrent la même attitude d’écoute attentive, face à face, légèrement pliés en avant, une oreille dans le conduit de l’escalier. Au bout de quelques minutes, un sourire apparut sur le visage de Charlotte et quand elle parvint à croiser le regard de Bastien, il lui répondit par un rictus amusé. Si nous comprenions que ce qu’ils écoutaient était plaisant, nous n’allions pas pour autant nous agglutiner sur le seuil de l’escalier et chercher à partager une petite récréation. L’expression de nos deux éclaireurs signifiait de l’étonnement, de l’amusement, comme on peut être incrédule face à ce qui ne peut se concevoir et qui pourtant est là. Pour moi, une situation originale aurait été d’entendre par exemple, venant des profondeurs, le babil d’un tout petit enfant, un charmant charabia, ou peut-être un gromelot, ces onomatopées mises pêle-mêle dans lesquelles on croit reconnaître un sens et qui nous font rire quand on s’aperçoit qu’on a été abusé. Mais alors que je me laissais aller à ce joyeux délire, le visage de Charlotte se fit moins radieux, puis interdit, puis plus sombre. Son sourire s’était figé et n’exprimait plus tout à fait l’émerveillement. Face à elle, Bastien était figé lui aussi mais tout entier. Physiquement, il avait changé, il était ramassé sur lui-même, les bras et les jambes légèrement fléchis et écartés, je pensais à un sumo dans le cercle de combat. L’un et l’autre avaient blêmi et chez Charlotte, la pâleur dessinait des traits durs. Elle n’était plus la fille frémissante qui se blottissait sous l’aisselle d’un Vincent emprunté, elle était l’offrande sacrificielle qui prenait conscience de ce qu’elle était bel et bien, une petite boule de viande. Même Simone, dont je surveillais la réaction était stupéfaite et avait assisté à la métamorphose sans ciller. Vincent ne comprenait pas ou refusait d’admettre et secouait la tête, le front soucieux, les mains fébriles. Sur le seuil de l’escalier, la tension était montée d’un cran, la sidération de nos amis était palpable, leur immobilité était devenue une paralysie. Simone reprit ses esprits d’un seul coup : on sort de là ! lança-t-elle d’une voix sourde. Accompagnant le mot d’ordre d’un élan de sauvetage, elle se précipita sur Charlotte et Bastien, les saisit aux poignets et les entraîna vivement vers la porte qui grince. Je sortis le dernier du vestibule, ma poupée sous le bras et claquai la porte derrière moi. L’orage avait cessé, la grande pièce distinguée nous rassurait à nouveau, nous étions finalement tous en sécurité. Rien ne prouvait cependant que nous venions d’échapper à un danger et j’avais un peu honte d’avoir cédé à la panique sans motif apparent. Tout cela devait rester entre nous, comme un mauvais souvenir, refoulé derrière cette porte fermée à clé.
Ça manque de sang et de tripes. La faute à Simone, ça. Il faut absolument l’exclure du groupe, elle ne sert à rrrien.
Courage, fuyons !!!
Perrault nous servait une « morale » avalée avec les contes destinés aux enfants… mais c’était au temps de Louis XIV…
De nos jours, ce sont les adultes qui aiment se faire peur ! Alors, tu nous distilles goutte à goutte le cocktail de l’été, à savourer pourtant sans modération ! L’effroi nous envahit au fil des lignes… alors que rien ne se passe en réalité ! Hitchcock procédait ainsi, non ?
Question : mais pourquoi tu ne proposes pas ce feuilleton à un journal ?
Et toc ! La Simone qui observe et pense avant d’agir aurait-elle cédé à la panique ?
Toujours est-il qu’il y a du souci à se faire pour ce petit monde livré à l’angoisse de l’inconnu.
Il est drôlement bien fichu ton texte et les séquences nous laissent chaque fois pantois et haletants.
Si elle l’a laissée tomber par terre, c’est une clé de sol. Si elle a été ramassée par un prétentieux, c’est une clé de fat. Pour la clé d’ut, par contre, je n’ai rien trouvé …
Malgré ces digressions aussi ineptes qu’inappropriées, et qui pourraient laisser penser le contraire, je suis totalement à fond dans cette histoire, moi !!! Toujours tellement bien écrite …