Une clé venait de toucher le sol.

Il n’y avait pas de doute, une clé était bien sortie de la poupée, dont nous n’avions jamais soupçonné un contenu intéressant du fait que nous ne l’approchions pas et la palpions encore moins. A vrai dire, nous la trouvions peu sympathique, avec son air précieux alors qu’elle n’était rien de plus qu’un bibelot, un élément de décoration assorti ; nous l’ignorions autant qu’elle nous snobait. Et pourtant, sans trop manipuler la réalité, je voyais une coïncidence entre le soin tout en tendresse que j’avais pris d’elle et l’apparition de la clé. Est-ce que j’aurais droit à une autre chose si je continuais à me montrer prévenant, comme dans une mauvaise série B où la poupée maléfique… ? C’était pure divagation de ma part, inutile et encombrante car l’actualité était de trouver un usage à cette clé. Mon attention se tourna évidemment vers la porte brune. Reprenant la poupée sous un bras, la clé dans la main, je m’assurais que Charlotte et Vincent n’étaient toujours préoccupés que d’eux-mêmes et je me dirigeais vers la serrure. La clé était aussi ouvragée que la poignée, c’était bon signe, la porte allait s’ouvrir. Un léger cliquetis, un à-coup du mécanisme et je pouvais baisser sans effort la poignée, pousser lentement la porte, arrêter net pour arrêter le grincement, poursuivre avec précaution et me faufiler de l’autre côté. Il faisait plus frais ici et le vestibule sentait le renfermé. A ma droite, oui, un escalier en pierre blanc montait en colimaçon ; à ma gauche un escalier descendait tout droit vers une sombre profondeur. Puisque j’étais arrivé là, c’est que j’avais la secrète intention d’aller un peu plus loin. Je me sentais assez courageux pour l’escalier blanc et assez lâche pour ne pas préférer l’escalier sombre. Je montai les marches et après avoir effectué un tour complet, je débouchai dans une grande pièce, sans fenêtre mais cependant éclairée. Des meubles fonctionnels aux lignes épurées, dans différents tons de gris formaient des îlots épars. Après la clarté, la netteté était le caractère dominant ici. Aucun bibelot, aucun superflu, rien que de l’utile. Rien de divertissant mais du solide. Rien d’austère pour autant mais du sérieux, du rigide. Des armoires que j’imaginais remplies de dossiers suspendus et de classeurs, des étagères portant des volumes épais, un bureau flanqué de deux blocs-tiroirs, une corbeille à papier vide, un fauteuil pivotant devant ce bureau et sur ce fauteuil, de dos, un homme. Vêtu d’un costume gris, élégant, en tweed autant que je pouvais en juger, que sa puissante musculature emplissait jusqu’à en faire presque craquer les coutures. Je devinais chez lui une force exceptionnelle et surtout une tension permanente que je ressentais même à quelques mètres. Il ne m’avait pas entendu et je n’avais pas l’intention de signaler ma présence, qui sait comment il réagirait. Je restai quelques longues secondes à m’imprégner des détails de la scène et repartis à reculons, descendant l’escalier à l’envers sur quelques marches puis me retournant pour rejoindre bien vite mes compagnons. Ils avaient vu la porte ouverte et s’étaient groupés dans le vestibule. Je leur fis signe de garder le silence et de ne pas poser de question. A voix très basse, en articulant fort plus qu’en chuchotant, je leur racontai qu’un homme se trouvait là-haut et qu’il semblait pas commode. Charlotte frémit et avec force gestes nous fit comprendre que c’était bien ce qu’elle pensait, j’en étais sûre, je le savais, c’est lui qui nous maintient enfermés. Mais non, sotte, répondit sur le même ton Simone, réfléchis un peu, il n’a pas la clé, c’est nous qui l’avons ! Second moment d’inertie intense face à l’énigme. L’épuisement physique et moral qui nous gagnait nous vouait à l’immobilité, et l’immobilité au silence.

Or, le silence révèle bien des choses.

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