En 1971, j’ai eu la chance de passer les 2 mois d’été en Syrie, à Damas en totale immersion. Je n’avais que la langue arabe pour me faire comprendre. De Damas j’ai rayonné dans tout le pays en utilisant les taxis et les bus.

Ainsi je suis allé passer 2 jours à la frontière Jordanienne, dans un camp palestinien, invité par un étudiant qui était mon voisin de fauteuil pendant le voyage en avion. Beaucoup de barrages et de contrôles de l’armée avant d’arriver à destination et autant au retour. Mais sur place, un accueil chaleureux. Ils étaient une quarantaine peut-être, assis en cercle, sous une toile de tente. Une femme, une seule, siégeait au milieu de ces hommes de tous âges. Elle avait peut-être une cinquantaine d’année.  A mon entrée, elle m’adressa un discret signe de tête, me sourit et la première, m’adressa des souhaits de bienvenue.auxquels se joignirent les hommes.

Plus tard, j’ai fait un saut de 3 jours au Liban. Là, je voulais  écouter la chanteuse libanaise Fayrouz dans le cadre magnifique des ruines de Baalbek, dans la vallée de la Békaa. Je passai ensuite une nuit à Beyrouth. J’ai fui très vite ces gens qui, même les bonnes soeurs, ne s’intéressaient qu’aux dollars que j’étais susceptible de leur échanger contre des livres libanaises.

Mosquée des Omeyyades – Le minaret

A Damas, j’ai été invité à passer le vendredi, jour de repos, sur les bords du Barada, le torrent qui dégringole du mont Liban  avant d’irriguer l’oasis de Damas . En plein été, son eau glacée entretient la fraîcheur à l’ombre des saules qui le bordent. On fait cuire des brochettes de mouton, on bavarde on joue aux échecs, on fait la sieste. Plus tard, dans l’oasis qui borde la ville, j’étais parti en vadrouille avec mon carnet de croquis. Installé au bord de l’eau, au frais sous un figuier, je n’ai pas pu terminer mon dessin. Sortis de je ne sais où, deux soldats en arme sont venus me tapoter gentiment sur l’épaule et m’ont escorté jusqu’à la tente d’un officier qui m’a offert, fort civilement, un verre de thé. Nous avons eu une conversation très cordiale qui visait très certainement à me tirer habilement les vers du nez: qu’est-ce qu’un français pouvait bien faire tout seul dans ces parages, alors que, je l’ai appris plus tard, le couvert des arbres abritait des batteries anti-aériennes pour la défense de la ville. Pas très prudent !

Plus au nord, je suis passé par Hama et Homs où j’ai vu les immenses norias, préservées, vieilles de plusieurs siècles, dont quelques unes tournaient encore, actionnées par le torrent. Dotées sur leur pourtour d’une multitude de gobelets mobiles sur un axe, elles faisaient monter l’eau jusqu’à près de dix mètres pour la déverser dans des aqueducs qui irriguaient toute la vallée de l’Oronte.  Là je ne connaissais personne et pourtant, alors que  je demandais où trouver un hôtel pour la nuit, deux hommes m’ont invité à un mariage et offert l’hospitalité pour la nuit. Ils avaient fait libérer une chambre pour moi.

Et puis j’ai continué ma route jusqu’à Alep où je me suis fait dévorer la nuit par de minuscules araignées rouges. A  Palmyre je suis arrivé au coucher du soleil devant les ruines de la cité antique. Les montagnes pelées formaient avec le ciel un décor extraordinaire qui passait par toutes les nuances de terre, d’ocre, de brique, et d’écarlate et de pourpre jusqu’au violet avant de s’éteindre dans un bleu profond qui se peuplait peu à peu d’une multitude d’étoiles. Je me suis aventuré dans les ruines et 3 chiens sauvages m’ont attaqué. Je les ai tenu en respect en les menaçant d’une grosse caillasse ramassée en tâtonnant sans les quitter des yeux. Je n’en menais pas large et j’ai du battre en retraite en marchant prudemment  à reculons avec l’angoisse de trébucher. Ils se seraient jetés sur moi.

A Deir Ez Zor, j’ai pris un bain de pieds dans l’Euphrate. Il était assez large pour ça.

Plus tard j’ai pris le bus qui menait à Mahloula, village refuge dans le Djebel Druze. L’autocar était bondé, le porte-bagage du toit débordait de sacs, valises couvertures et colis de toutes sortes, harnachés à la diable. La route étroite était sinueuse et grimpait sur le flanc de la montagne, le ravin sur la gauche. On voyait de loin descendre les camions, les bus et les taxis, heureusement assez rares. Un bus nous précédait et nous le rattrapions. L’excitation grandissait à mesure que nous l’approchions. Bientôt arrivés sur son arrière, notre chauffeur se mit à tirer comme un forcené sur le cordon de rideau bariolé qui pendait du plafond; c’était le klacson, « Zemmour Bahria » disent les syrien, la « Trompe Marine » une sirène aussi puissante que celle d’un paquebot. Et là, c’est le délire, les voyageurs des deux bus sont debout, fenêtres ouvertes, ils s’invectivent et encouragent leur chauffeur, nous déboitons et pendant une éternité les deux bus roulent de front dans les virages sans visibilité.

On a gagné . . .

A Damas j’ai passé le plus clair de mon temps à flâner dans les souks, bavarder avec les voisins, regarder les artisans fabriquer des objets extraordinaires à l’aide d’outils rudimentaires, et surtout, chaque jour rendre visite au vieux chibani chrétien maronite, qui me donnait des leçons d’arabe en préparant le thé.  La veille de mon départ, il voulut me faire les lignes de la main. Tenant la mienne de sa gauche, du plat de sa droite il  frappa ma paume à plusieurs reprises pour la détendre et lui permettre d’y lire à livre ouvert. Après quelques commentaires anondins il s’exclama « Ajeb Ajeb ! » , pour me prédire un destin « étrange » ou « surprenant », libre à moi d’interpréter le sens de ses exclamations. Il finit la consultation sur une parole sans équivoque:  « Oua lakine, lane tan’jah »,  « Mais hélas tu échoueras ». Aussi en lui faisant mes adieux, et pour conjurer le mauvais oeil, je pris soin de lui donner une bonne tape affectueuse dans le dos car il était bossu.

Je suis rentré de ce voyage avec quelques dessins au crayon dans ma valise. Plus tard, comme je voyais qu’ils s’effaçaient, j’ai repris les plus nets au stylo feutre à pointe fine. J’avais pris le pli. Par la suite j’ai continué à gribouiller sur des carnets de crobars pour finir par dessiner de temps en temps directement au feutre.

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