Avoir et Etre avaient grandi ensemble. Nés ensemble, chacun pouvait voir qu’ils se complétaient admirablement. C’était une chose assez bizarre d’ailleurs… Comment dire ? Avoir n’existait que parce que Être était là. Et Être ne pouvait vivre… sans qu’Avoir n’existe.
Physiquement, moralement, ils étaient très différents. Avoir, assez dodu, toujours affamé, avait dans ses yeux une sorte de gaîté et d’entrain qui faisaient un peu peur, une espièglerie où l’on ne savait pas si le désir d’être drôle l’emportait vraiment sur le goût de la ruse et de la tromperie. Être au contraire était un personnage doux, presque secret, qu’on devinait plongé dans des réflexions philosophiques, et dans ses yeux à lui, on ne distinguait qu’un immense élan de générosité, de solidarité. Avoir tempérait l’esprit volontiers utopique d’Etre ; Être ordonnait les fréquents débordements d’Avoir. Ils étaient des amis inséparables.
C’est donc ensemble qu’ils décidèrent de faire un voyage dans un pays proche, en Société.
Société est un de ces pays de cocagne, no man’s land, contrée vierge propice à la découverte du monde et de soi-même quand on y entre tel le Spartiate de l’Antiquité. Vaste et impeuplé, Société offre au voyageur les fruits mûrs et nourrissants que l’on connaît sous le nom de Biens de Consommations. Cette traduction est approximative car le vocabulaire de Société est idiomatique et tout à fait incompréhensible sans une longue pratique.
Cette contrée, autrement belle que leur pays d’origine plut beaucoup à Avoir et à Être, pour des raisons différentes semble-t-il. Avoir trouvait là de quoi satisfaire sa gourmandise — la première chose qu’il fit fut d’ailleurs de se confectionner une indigestion de Biens de Consommation à la mesure de son appétit. Être ne trouva en cet endroit que le miroir qui « devait lui permettre disait-il, de réaliser enfin l’importance de sa petitesse face aux belles choses de la vie ». Au cours d’une discussion où ils échangeaient leurs impressions de voyage, Être trouvait que s’empiffrer jusqu’à s’en rendre malade n’était pas une attitude respectueuse, ni envers Société ni envers lui-même, et demanda à Avoir, pour la première fois, de ne pas toucher sans discernement à tout ce qui se mange.
Avoir, n’ayant pas l’intention de contenir ses appétences, arguait au contraire qu’il « rendait hommage à son hôte en recevant ses cadeaux et qu’il faisait honneur à leur abondance ».
Leurs points de vue tranchés les placèrent dans une situation inédite et puisqu’ils campaient tous deux sur leur position, le clivage fut entériné d’un commun accord : ils camperaient chacun sur un territoire séparé.
Malgré les visites fréquentes qu’ils se rendaient aux confins de leur partie réservée, ils sentaient bien que le cœur n’y était plus. Avoir et Être se quittaient toujours avec amertume pour aller retrouver, qui son réservoir, qui son miroir.
Avoir arriva rapidement à bout des ressources de son territoire tandis que dans le même temps Être atteignait un niveau ultime de révérence.
Epilogue 1 : Avoir et Être sont morts chacun de son côté, d’inanition.
Epilogue 2 : Avoir a trucidé Être, on sait pourquoi et il est mort d’inanition quelque temps après.
Epilogue 3 : Être, devenu mystique a jeté un sort à Avoir pour l’invertir et ils sont morts d’inanition quelque temps après.
Epilogue 4 : Avoir et Être se sont rabibochés et sont revenus à la case départ mais comme ils sont maintenant méfiants l’un envers l’autre, ils se pourrissent la vie à coup de lois et de lois et de lois.
Votez…
Votez le 19 juin !
Entre « être sûr d’avoir raison » et « avoir raison d’être pas sûr », j’ai voté et je suis toujours dans l’incertitude
Merci pour tous ces commentaires !
Eh bien… si on analyse les épilogues, on voit bien qu’Avoir est un con, et Être un crétin. Du coup, on va éviter de voter, hein ? Sinon, Faire est absent de ta parabole, c’est dommage, ça aurait été plus sportif ^^
Au cas où ça intéresserait quelqu’un, Être et avoir est un film documentaire de 2002, je l’ai, et je l’envoie à qui le voudra.
Je crois me rappeler que je l’ai vu ce film. Et oui, je veux bien le revoir, si tu trouves un moyen de me le faire parvenir.
No problem. Surveille ta boîte mail 😊
Bien reçu, MERCI !
Bien revu avec plaisir.
😊
J’avais offert la cassette (oui, la cassette !!) à ma mère et elle avait adoré. Comme elle a encore le magnétoscope (oui, le magnétoscope ….), voilà qui me donne une idée pour remplir une longue soirée estivale !
Qu’il est doux, ce joli monde manichéen …. Etre et avoir sont 2 méritants auxiliaires de vie, mal considérés et trop peu reconnus comme il se doit pour des auxiliaires de vie, et sans lesquels la vie individuelle et collective ne serait pas. L’un ne va pas sans l’autre, ils sont interdépendants dans la volonté de celui qui les dirige. Reste que Société nous inflige parfois des choix qui ne nous correspondent pas, contre lesquels il faut alors être à contre-courant et avoir le courage d’y rester.
Je préfère néanmoins quant à moi Lettres et Savoir ! Un nombre très impressionnant de jeunes n’a pas été voter parce qu’ils ne savent pas à quoi servent les législatives. Etre con et avoir l’intention de le rester ?….
Tes épilogues plus sinistres les uns que les autres sont donc censés être la motivation à aller voter, si j’ai bien compris. Eh bé, on est mal. 😳
C’est bien de voter, pour celui-ci ou celui-là, pour telle ou telle raison, mais je ne suis pas un républicain militant. Chacun fait comme il l’entend et c’est bien aussi.
En fait, cette allégorie (une de plus) est l’édition revue et corrigée d’un texte vieux de plus de 30 ans (le nanar en question) et qui avait pour titre « Avoir a tué Etre ». C’était il y a plus de 30 ans, j’en avais au moins 30 de moins, la Société aussi. Il me semble que les choses se sont un peu équilibrées depuis entre les 2 protagonistes. L’époque m’a paru favorable pour une mise à jour.
Il y a trente ans… si je me rappelle bien, j’arrivais a aller voter sans trop me forcer.
Etre ange c’est étrange, dit l’Ange… tu nous la fais à la Prévert ?
Le problème de Société c’est que ses habitants ont besoin d’Avoir pour paraître, donc Être, et dans un tout autre sens que philosophique. Quelle tristesse ironique !
Mais toi aussi, tu as besoin d’avoir … Si, si ….
Il faut juste savoir choisir !
Ben oui, quand je parle des habitants, je les englobe tous… donc moi aussi. Même si, effectivement, on ne fait pas tous les mêmes choix, en quantité et en qualité, et comme tu le dis, on ne les maîtrise pas toujours fond.
Brrr… Z’ont pas l’air commodes 😱
Tu te souviens : Robert Tatin
Mais oui ! Je les avais reconnus 🙂