Lorsqu’il m’arrive de faire une « belle » photo, ou pour le moins, une photo « intéressante », c’est toujours parce que le hasard qui m’y a aidée. Pas la technique à laquelle je n’entrave que dalle, perdue en perplexitude parmi les iso, focales et autres joyeusetés qui m’ennuient profondément.

Je vais donc tenter ici de vous narrer ma plus belle photo. Celle que je n’ai évidemment pas faite …

Mais, pour vous l’expliquer, il me faut au préalable vous imposer un léger détour narratif.

 

Versailles est certes une ville d’un autre siècle (18.50 % de votes Zemmour au premier tour des présidentielles) mais, architecturalement parlant, c’est une belle ville … Alternant très larges avenues et ruelles, elle accueille un tourisme pour le moins envahissant, qui peut faire regretter aux autochtones et aux riverains les belles heures du confinement.

Mais il n’y a pas là que du tourisme de masse … (d’ailleurs vous allez passer tout à l’heure avec moi sans le savoir juste à côté de la Lanterne – et que vous auriez même pu apercevoir si je vous l’avais gentiment indiquée…-).

Sur ce territoire de renom, se trouvent donc quelques hébergements prestigieux pour visiteurs fortunés. Ainsi, l’hôtel du Grand Contrôle. Je vous laisse tout le loisir de trouver la chambre de vos rêves ici : lien vers le site

Vous noterez qu’il n’y a pas les tarifs … J’en ai trouvé néanmoins trouvé lors d’une simulation chez un concurrent local qui propose une offre « à saisir », limitée et promotionnelle et qui, pour ma part, me saisit en effet : 1.240 € pour une nuitée à 2, hors saison. On n’a décidément pas tous les mêmes valeurs.

 

Revenons à notre Grand Contrôle, devant lequel je passe systématiquement pour pouvoir quitter Versailles et revenir dans mon plus modeste chez moi.

Devant l’entrée de ce palace, de part et d’autre du porche, deux jeunes hommes chapeautés, en livrée beige, chemise à jabot et bas blancs, affublés de chaussures à boucle dorée, se tiennent droits et imperturbables sous la pluie, le vent, voire la neige, ou au contraire en pleine canicule, afin d’accueillir avec déférence et promptitude le client fortuné qui aura le privilège de dormir le soir même dans le luxe et la soie.

Souvent arrêtée au feu, j’ai tout le loisir de les observer à la dérobée et de compatir. Toujours de type aryen, sauf une fois où j’ai vu un jeune homme noir (sans doute en souvenir du bon vieux temps colonial), ils fixent dignement et sans le voir l’immeuble d’en face et je me demande au bout de combien de temps ils ont droit à une relève pour se réchauffer ou se rafraîchir, ou juste pour s’asseoir un peu …

Je les imagine étudiants, tentant de gagner quelques sous et de gratter quelques pourboires pour subvenir à leur quotidien bien moins prospère que celui, indécent, qu’ils côtoient ici.

Fin de la parenthèse …

 

La séance photo que je vais donc enfin vous raconter se situe en automne, fin octobre peut-être, ou début novembre. Ce jour-là, aux alentours de midi, je roulais vers Versailles.

Nous venions juste d’essuyer un orage assez vif qui avait lavé le ciel et les arbres, et offrait maintenant une lumière à la fois incandescente et douce qui étincelait sur la route miroir.

Imaginez …

La route est belle à cet endroit. Large trouée en ligne droite bordée d’arbres sur ses deux côtés, elle longe sur plusieurs kilomètres le parc du château dont on aperçoit la luxuriance par-dessus le mur de pierre, et dont on peut entrevoir, de loin en loin, quelques allées, statues et bassins à travers les grilles qui jalonnent le trajet.

 

 

Mais laissons là notre itinérance car, comme dans tout « instantané », l’espace et le temps doivent maintenant se figer. C’est ainsi, c’est la règle.

 

Nous sommes arrivés au seuil ténu de la lumière.

A nos pieds, la route scintille alors que, de part et d’autre, les hauts branchages roux nous surplombent encore.

Juste au-delà, en plein soleil et sous le bleu ardent du ciel, un espace ouvert qu’aucune ombre n’entache : à senestre, l’or des premières grilles et dorures (celles de l’Orangerie), et, sur votre dextre, le miroitement de la Pièce d’Eau des Suisses, grande retenue d’eau limpide et calme.

En face, à quelques 500 mètres, l’entrée de la ville : les vieux immeubles en pierres, bordant une rue toute droite, en une perspective rectiligne et sombre apparemment infinie, composent l’arrière-plan idéal.

 

Instant magique, lieu majestueux, hors du temps…

Vous le voyez, l’endroit ?

Vous les voyez, la lumière, les couleurs vives, et l’ombre nécessaire ?

 

Si j’avais pu arrêter ma voiture exactement à cet endroit,  à cet instant précis, comme je le fais avec mon récit, si j’avais pu capter ces plans parfaits et ces contrastes fantastiques, ça aurait été, je pense, une « belle » photo.

 

Mais c’est alors qu’est apparu l’incongru, le saugrenu, l’absurde.

L’Intéressant ….

 

Car, sur ma droite, sur la piste cyclable longeant la Pièce d’Eau des Suisses, survint alors un jeune laquais en livrée, juché sur une trottinette électrique.

 

Elle est pas belle, la vie ?

 

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