05:32

Quand le téléphone a sonné, il était 05 :32.

Il y a des trucs, comme ça, qui s’impriment dans la rétine et qui y restent, on se sait pas vraiment pourquoi.

 

allô ?

Une femme. Torsion de l’estomac. Flash.

Il pense à sa sœur … sa mère est morte …

Doucement ! Faut se détendre ! c’était pas la voix de sa sœur … Ses yeux restent rivés sur le temps digital de son radio-réveil.

allô ?

euh … oui …

c’est toi, JP ?

 

05:33

Son esprit est passé brutalement en mode « alerte ». Il a soudain le besoin impérieux de préserver le lien avec cette voix. Non, il n’est pas JP ! Il ne sait pas comment dire, comment maintenir la ligne, ses pensées s’embrouillent : dire non mais …, dire je suis là, dire restez là …

Elle se méprend sur le silence :

je te réveille, je suis vraiment désolée … écoute, je suis dans la panade ! on m’a piqué ma bagnole à Orly !! tu m’entends, JP ? oh je suis désolée, vraiment désolée … tu es là ?

 

Il se racle la gorge. Gagner du temps, trouver un truc, pas lui faire peur. Orly, ce n’est pas si loin, surtout de nuit … surtout un dimanche …

– euh … bonjour …

– dis, tu pourrais venir me chercher ? oh là là, qu’est-ce que je suis embêtée de te demander ça ….

– euh … oui, mais euh …. je ne suis pas JP, je suis Jacques, … t’es qui ?

 

Le silence a changé de camp.

D’un coup le rire fuse, cristallin, spontané, fougueux, un rire pourtant enfoui avec soin sous la chape de sa mémoire soi-disant effacée :

– Flo ?!!

Il se met soudain à adorer les écrans tactiles si propices aux mauvaises manipulations.

– J’arrive.

Il s’habille avec précipitation et saisit à la volée ses clés sur la table basse. Son carnet gît juste à côté. Il fait volteface, pirouette cacahouète, et griffonne à la hâte : FLO ….

En grand, en gras, en diagonale … elle avait donc gardé son numéro !!!!

 

Quand le téléphone, dans sa poche, s’est remis à sonner, il courait déjà vers sa voiture, se prenant au passage les pieds dans le seau de feuilles qu’il avait ramassées la veille, plus par désœuvrement que par conviction. Il s’arrête, hésite, mais ne décroche pas.

L’urgence cependant s’est figée. Il regarde le petit miracle désappris de ce déversement d’ocres, de rouges et de rouilles dans le petit matin. Les feuilles lentement s’évadent, rendues au vent qui les happe en douceur, les soulève, les repose, joue avec leurs dentelles, et les donnera plus tard, plus loin, en offrandes à l’humus de la terre.

Il sent le doute s’insinuer, entrevoit en pointillés les regrets à venir, quoi qu’il fasse en cet instant, repense au carnet vide de sens, et finalement saisit fermement ses clés de voiture dans l’autre poche dans son manteau.

On ne sait pas comment cette histoire finira, ni même si elle commencera, c’est leur problème, pas le nôtre.

Novembre sera toujours novembre, avec sa grisaille et sa monotonie. Mais cette année, il aura une couleur (voire une douleur) … et c’est ça qui compte !!

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