Longtemps à l’avance, on surveillait la pendule. Assis sur le rebord du fauteuil du salon, l’appareil posé sur les genoux et la main sur le combiné, on attendait 18h.

Voire 18h01, pour être sûrs.

On pouvait alors décrocher. Le mastodonte gris nous signifiait gentiment qu’il s’était réveillé en émettant un tout petit clic à peine audible : le rituel magique pouvait désormais commencer.

 

Dès que le la de la tonalité se faisait entendre, l’index pointait avec détermination vers le 1, s’insérait dans le cercle, et tournait le cadran jusqu’à la petite virgule métallique avant de relâcher. Le 6 était plus amusant car le retour du cadran offrait plus longuement à l’oreille son petit cliquètement martelé.

Ce 6, à lui seul, était une promesse.

 

C’est à cet instant qu’au creux de l’estomac une petite angoisse s’infiltrait. On attendait l’autre tonalité, plus grave (un fa sans doute, un fa dièse peut-être), qui serait le sésame.

Mais parfois le fa ne venait pas.

Dame ! C’est qu’on devait être nombreux, le premier dimanche du mois, à 18h précises, à faire ces mêmes gestes à demi-tarif ….

Alors il fallait recommencer, avec à chaque fois avec un peu plus de fébrilité.  On imaginait celle, là-bas, qui attendait, qui s’inquiétait aussi peut-être, on voyait le bahut en bois, la table, la tapisserie et le cadre sur le mur. On implorait le fa ….

 

Composer le numéro était ensuite une allégresse, juste une formalité : le plus dur avait été accompli …

On entendait enfin distinctement notre appel se propager longtemps en ondes folles sur le réseau, je l’imaginais courir sur les fils, comme ceux que je voyais défiler à la vitesse du train express, je le voyais bondir, agile, de poteau en poteau, traverser les paysages brouillés d’une France estompée aux distances effacées, j’en suivais, éblouie par tant de prodiges, la progression quasi matérialisée, zébrant des villes inconnues, fusant au milieu des champs, des bois, au-dessus des fleuves, la Garonne, les pins.

Et enfin la sonnerie, là-bas, si loin …

La main ridée qui décroche « allo ? c’est toi, maïnadje* ? ».

 

Le miracle est accompli. Mon décor disparaît, je regarde le sol, je suis chez ma grand-mère, près du bahut en bois.

* enfant en occitan (pas sûre du tout de l’écriture !)

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